dimanche 24 mai 2015

Le sourire des évadés de Fabien Sanchez


Et toujours ce papier mât à gros grains,
très agréable au toucher qui accompagne
une photo pleine de charme.
Ne changez rien, les éditions
La Dragonne !

Quoi qu'il tente ou fasse, l'élastique à sa culotte (celle dont se plait à user les fonds sur des bancs d'école) le ramène toujours en arrière. Un tendeur implacable, le  souvenir douloureux de 1983,  a fait de lui un "sous-Peter Pan cyclothymique", un "fugitivus errans". A la longue, ça lasse une femme, même d'humeur égale. C'est pour enfin cesser de se projeter dans le passé et peut-être sauver son mariage que William est revenu dans sa maison d'enfance. Il a l'été devant lui pour avancer sur son roman. Il veut écrire l'histoire de Frédéric, son meilleur ami, disparu en 1983, évaporé au cours d'une "évasion", une escapade d'adolescents où tous étaient pourtant partis avec le sourire.

Plusieurs figures féminines l'entourent, à commencer par Judith, sa fille, véritable rayon de soleil, indulgente vis-à-vis des dispositions abouliques de son écrivain de père mais intraitable  sur  son écriture si celle-ci prend du poids sans raison. William sait aussi qu'il peut compter sur la bienveillance d'Elisabeth, sa voisine, la mère de Frédéric. Il la connaît depuis toujours. Elle est son idole, son icône, son baume. Une nouvelle venue dans le voisinage, la jeune et jolie Stella l'intrigue  mais la demoiselle, à l'esprit pourtant vif, n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler un modèle d'équilibre et pour tuteurer quelqu'un, mieux vaut soi-même ne pas être chancelant. 

Pour être tout à fait honnête, j'ai craint un moment que les atermoiements de ce mâle quadragénaire un brin improductif et versatile, manipulant parfois plus la bouteille que le stylo allaient finir par m'agacer (une pensée solidaire avec l'épouse qui a dû avoir bien envie de lui botter le train...) mais il n'en a rien été (reprenons notre posture de lectrice), d'abord parce que l'on n'oublie pas l'histoire qui sous-tend tout ce mal-être, ensuite parce qu'il est quand même le premier à ne pas s'épargner, à se regarder le nombril ou à se triturer le cerveau certes, mais avec une lucidité certaine et une autodérision bien ficelée, le tout servi par une belle écriture.

J'ajoute que c'est un roman à l'érudition discrète avec un vocabulaire précis, parfois rare (j'ai appris 2 ou 3 mots au passage dont un que j'ai utilisé plus haut...), quelques locutions latines, des références à des auteurs et non des moindres... (Cioran, Kafka, Sénèque, Bobin) et, choix risqué mais délicieux selon moi, l'emploi de temps oubliés comme le conditionnel passé ou le plus-que-parfait du subjonctif (quand le propos est contemporain, je ne trouve pas que cela fasse suranné).

C'est quand même le deuxième* livre que je lis depuis peu où je concède à un narrateur masculin le droit d'avoir autant de défauts, soit je me ramollis dangereusement soit leurs auteurs ont du talent ! ;-)

*L'autre, c'est Toute ressemblance avec le père de Franck Courtès. Je ne sais pas si ces deux auteurs se connaissent mais peut-être qu'ils auraient des choses à se dire...


4 commentaires:

  1. Ton billet me met exactement dans la disposition d'esprit que tu mentionnes : partagée entre l'intérêt que ce livre semble avoir et la crainte d'être agacée par les atermoiements du personnage... Un livre à tenter s'il croise mon chemin en bibliothèque.

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    1. Il mérite qu'on s'y attarde, je pense, ne serait-ce que par la qualité de son écriture.

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  2. Ah, j'au peur d'être agacée par cet homme.

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    1. Je te rassure, il se fustige bien lui-même donc ça passe !

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