mardi 26 juillet 2016

Courir de Jean Echenoz

Emile n'était pas disposé à courir mais il ne sait pas dire non et en même temps quand tu risques d'être viré, tu t'alignes. Emile ne se pensait pas doué pour courir mais il est devenu bon, efficace comme en témoignent ses 4 médailles olympiques, malgré son style tout moche, tout grimaçant qui n'a pas la classe de masquer l'effort physique.
Si, tout en courant, Emile avait pu nous livrer un peu plus des sensations qu'il éprouve, cette lecture aurait été bien plus frémissante sur le plan littéraire mais ça, je pense que c'est comme le style (du coureur et non de l'auteur), pas livré avec. Bon, on apprend qu'il va y prendre goût et qu'il aime bien gagner. On s'en serait douté un peu quand même. En général, pour obtenir l'or olympique, ces deux conditions doivent être réunies. 
Si je suis un peu sévère, c'est que je connais et apprécie la qualité d'écriture d'Echenoz et je dois dire que j'espérais quelque chose d'un peu moins plat. J'ai trouvé que l'énumération des records ou des victoires devenait fastidieuse (c'est dire s'il en a gagné des courses !), je m'attendais à ce qu'on aille davantage dans l' intimité de l’effort et des sensations que peut donner la mécanique du corps. Au lieu de ça, on a surtout la description de sa méthode d'entrainement,  particulière, certes. Du descriptif bien écrit mais du descriptif quand même. Quel est donc alors le principal intérêt de ce roman ? Echenoz  retrace le parcours d'un athlète dans un contexte historique précis, contexte qui va influencer nettement sa carrière. Reprenons. Relançons notre coureur au départ.
Des kilomètres, il en a couru Emile depuis les forêts de sa Tchécoslovaquie natale jusqu'aux pistes des stades du monde entier (ou presque et on comprendra plus tard la raison du presque), des kilomètres à user le caoutchouc de ses semelles sur la cendrée. Vous aurez noté tous les mots qui agissent comme des marqueurs de temps : nous sommes dans les années 40-50 dans un pays d'Europe centrale qui n'a pas encore procédé à sa partition et le contexte est bien évidemment celui de la Guerre froide (maintenant, vous saisissez les raisons du "presque").
Champion de demi-fond, pas mauvais non plus sur le Marathon, cet Emile-là a réellement existé (cherchez bien, ils ne sont pas si nombreux les champions tchèques de cette époque à s'être inscrits dans la mémoire des non initiés). Echenoz ne nous rappelle le nom qu'au bout de presque 100 pages. C'est habile car cela produit immanquablement son petit effet de surprise (je n'avais pas lu la quatrième de couverture et je n'avais bêtement pas pensé au substrat biographique) mais a contrario, tant qu'on est persuadé qu'il s'agit d'un pur personnage de fiction, on en veut un peu à l'auteur de ne pas être davantage expansif ou lyrique le concernant, bref de ne pas lui prêter davantage de sentiments. Je ne devrais peut-être pas dire "on" mais "je" quand d'autres, moins ballots que moi, auront compris d'emblée le matériau de départ.  Ceci dit, il m'a semblé que l'écriture était en quelque sorte inféodée au réel, étriquée dans ses possibilités de développement. Par contre, l'analyse de l'athlète en tant qu'objet de propagande, à la fois exposé, manipulé, puis censuré est particulièrement réussie. Et dire qu'il n'a jamais pensé prendre ses jambes à son cou pour s'enfuir...

lundi 25 juillet 2016

Le déclin des clins d'oeil de Simon Masella

Aux éditions LA DRAGONNE
Ma librairie joue parfaitement son rôle de librairie indépendante lorsqu’elle met en avant de petits éditeurs en leur réservant une part non négligeable de ses rayonnages. Convaincue qu’en tant que lectrice, je dois moi-aussi contribuer, même modestement, à la défense des PME (comprendre « petites maisons d'édition », celle-ci a quand même édité Philippe Claudel à ses débuts), j’aime bien musarder dans cet espace à la recherche d’un ouvrage pour lequel je revendique l’exclusivité du choix sans influence quelconque.
Attachée au livre en tant qu’objet, mon attention peut être retenue par un titre éloquent ou mystérieux et par une couverture soignée de préférence abstraite car je n'aime pas que l'on m'impose une image trop explicite, c'est l'une des raisons qui me font préférer la lecture au cinéma.
C'est ainsi que Le déclin des clins d'œil m'en a fait un (oui, je sais, c'est facile) et que je l'ai mis en concurrence (déloyale) avec un Echenoz que j'ai embarqué également (car sortir de la librairie avec un seul livre relèverait de la frustration).
Ce court roman raconte les péripéties de deux gosses d'une dizaine d'années, bien décidés à délivrer leur copine obèse envoyée par ses parents dans un centre d'amaigrissement. Précisons qu' ils ne s'embarrassent pas de formules et l'appellent « Cathy-la-Grosse » sans que ce soit discriminant puisque l'un des deux en est amoureux et ne considère en aucun cas ses rondeurs comme un problème. L'histoire est racontée par Yann, un prénom parfait quand on est admirateur de Star Wars et de Yan Solo. Il est embarqué dans l'aventure par solidarité avec son copain Ulysse, pseudo pour qui aime les héros d'un autre temps.
Le principal intérêt de ce roman est d'essayer de retrouver les ressorts de l'enfance, ce mélange d'inconscience, de naïveté et d'effronterie qui ouvre la porte de l'imaginaire et embarque de grands sentiments parce qu'il n'est pas question de voir petit, pas question de  se rêver autrement qu'en héros.
L'ensemble est inégal et je pense que l'emploi des gros mots n'apporte pas spécialement une plus-value pour accréditer une parole enfantine mais il s'agit d'un premier roman écrit à 22 ans par son auteur. Malgré un certain nombre de maladresses, sans doute par volonté de trop bien faire, j'ai aussi trouvé des passages plus réussis, où l'auteur s'approche assez bien du ton de l'enfance, en recréant cette témérité naïve qui fait sourire. 
Et puis, j'avoue que cela me plait d'avoir intercalé cette lecture entre un Baricco et un Echenoz, ténors de la littérature qui n'ont pas vraiment besoin de défenseurs pour se faire connaître. J'aime à penser que la littérature a besoin de tous ses auteurs (je mets volontairement un déterminant possessif), les débutants comme les confirmés, les classiques comme les contemporains pour nous offrir sa diversité et nous enthousiasmer, nous agiter, nous séduire, nous surprendre...(chacun mettra le verbe qui lui convient). 

dimanche 24 juillet 2016

La Jeune Epouse de Alessandro Baricco

En virtuose de l’écriture, Baricco parvient à créer des univers poétiques emprunts d’une sorte de délicatesse intemporelle. Il choisit avec habileté les mots sur plusieurs registres, s’amuse à créer des associations dont l’incongruité surprend puis fait sourire et rythme sa phrase comme une partition de musique. Bref, son écriture est savoureuse et je l’ai retrouvée avec plaisir dans ce nouvel ouvrage.
La Jeune Epouse qui est en fait seulement fiancée débarque le jour même de ses dix-huit ans dans cette famille bourgeoise italienne qui s’accroche, en ce début de XXème siècle,  à des usages mi-surannés, mi-fantasques, compréhensibles d’elle-seule. Chacun campe un rôle au point que celui-ci en devient éponyme mais il serait dommage de dévoiler ici cette galerie de portraits dont les particularités constituent, selon moi, l’essentiel du charme du roman.
L’écriture de Baricco va distribuer tour à tour au lecteur des notes poétiques, osciller entre le loufoque et le fantastique, faire une large place à la sensualité mais aussi permettre la réflexion sur le processus d’écriture. C’est dense, ambitieux, bien maîtrisé. Aussi ai-je considéré les nombreux glissements de narrateur comme la chantilly sur un gâteau déjà fort riche : pas forcément nécessaire. Même si l’auteur se justifie sur le processus (p 62 seulement et en attendant, on est quelque peu paumé), je n’ai pas été pleinement convaincue et de fait, je n'ai pas réussi à dépasser l’impression de la prouesse stylistique. Pour autant, d'autres lecteurs pourront considérer que cette subtilité narrative donne toute sa saveur au roman. Je préfère, quant à moi, quand Baricco utilise sa magnifique écriture pour produire des épures aussi belles que Novecento : pianiste

lundi 11 juillet 2016

Le mystère Henri Pick de David Foenkinos

Une rencontre intense avec un livre peut parfois rendre falote la lecture suivante. C'est donc sans grande conviction que j'ai entamé Le mystère Henri Pick pensant qu'il ferait les frais de la bouffée d'iode et d'émotions que j'avais prise avec Le grand marin. Sachant qu'une grande partie de l'histoire se déroule à Crozon en Bretagne, je n'ai pas été totalement dépaysée du côté des embruns. J'arrête là la comparaison qui n'a qu'un intérêt limité, il faut bien le reconnaître.
Le matériau de ce livre est particulièrement jubilatoire pour qui aime la lecture puisqu'il y est question bien entendu de livres, plébiscités ou ignorés, refusés puis recueillis mais aussi d'auteurs, d'éditeurs, de bibliothécaires en passant par les représentants du livre (dont le rôle méconnu est essentiel) mais aussi les critiques littéraires. David Foenkions semble bien connaître cet univers et nous adresse au passage quelques clins d’œil. J'ai relevé, par exemple, p 145, une allusion au livre Rien où poser sa tête de Françoise Frenkel, retrouvé bien des années après sa publication dans un vide-grenier. "Jérémie avait la fragilité de ceux qui ne trouvent pas leur place, et qui errent indéfiniment à la recherche d'un endroit où poser leur tête." L’ouvrage a été réédité par la même maison que celle de ce livre, voilà pourquoi j'ai pensé (peut-être à tort) à un clin d’œil. Le fait également que le personnage principal ait pour prénom Delphine peut-il être mis en rapport avec celle qui s'est récemment habilement amusée à triturer la part du vrai et de la fiction, en revenant sur les conséquences du succès considérable de l'un de ses livres ?
En partant de l'histoire mystérieuse d'un livre repêché par hasard dans la bibliothèque des livres refusés puis porté aux nues au point de devenir un phénomène médiatique, Foenkinos amène sur le ring le débat toujours intéressant entre la forme et le fond. Quels repères peut-on garder sur la valeur d'un texte quand parfois son contexte (quel qu'il soit, conditions d'écriture ou de parution, vie de l'auteur) devient plus important que son contenu ? Lorsque "le roman du roman" prend le pas sur son support initial, n'y a-t-il pas une sorte de supercherie collective que beaucoup, journalistes, lecteurs, alimentent ou cautionnent ? On sait très bien que des loupés magistraux (Proust refusé au départ par Gallimard ) ont émaillé l'histoire de la (non) parution littéraire mais a contrario notre époque n'est-elle pas avide de surenchère ? Bref, la part du talent et du mérite semble n'avoir parfois droit qu'à un chemin ténu alors qu' on ouvre des boulevards à  qui peut créer et nourrir le buzz. Pour autant, tous les livres refusés ne sont pas géniaux et tous les grands succès ne sont pas immérités non plus. 
Mais ce livre ne fait pas qu'analyser (sur un ton plutôt léger et en tout cas jamais ouvertement sarcastique) la part d'aléatoire dans la rencontre entre un auteur, un éditeur et son lectorat, il se propose aussi et ça m'a semblé être sa touche personnelle, d'aller voir du côté des vies ou plutôt des amours que le chemin du livre (là, je parle du livre dans le livre, il est temps de dire son nom, Les Dernières Heures d'une histoire d'amour) croise sur son passage et semble infléchir. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'image d'une balle de flipper qui vient frapper sur les différents plots pour prendre des directions imprévisibles. La plupart des personnages portent en eux des histoires d'amour déjà fatiguées, rattrapables ou pas et l'auteur, à travers 6 couples, décortique assez bien la part d'usure qui s'installe faisant écho au titre du livre qu’aurait écrit, dans l'anonymat, Henri Pick, pizzaïolo breton de son état mais avec un "k" dans le nom comme Foenkinos...
Une lecture absolument pas falote donc car ce livre explore différentes pistes, donne (ou rend) la part belle aux oubliés, refusés ou incompris (un hommage tout particulier à Brautigan, à l'origine de l'idée de la bibliothèque), aux gens du livre en général voire à l'objet lui-même digne d'être conservé, même s'il est médiocre car restant cependant le témoin d'une intention louable, celle d'écrire.

dimanche 10 juillet 2016

Le grand marin de Catherine Poulain

Lettre à un livre à qui j'ai envie de dire deux mots (variante neutre de "lettre à un livre à qui j'étais prête à mettre une claque et qui m'en a mis une").
Je savais qu'on parlait de toi. J'en ai perçu l'écume. Peut-être que je t'ai choisi pour ça en fait, pour faire partie de l'équipée.
Je n'ai pas voulu lire ce qu'on disait de toi et déjà ta jaquette m'en annonçait trop. Je voulais que mon rapport à ton encre soit brut et lisse, exclusif et  âpre comme les pages que tu promettais.
Je t'attendais un peu au tournant avec tes histoires de pêche au large et de bateaux. Sûr que t'avais du bon matériau littéraire, entre océan, coin de terre improbable et vies rudes mais faut tenir la distance, intéresser tout au long de tes pages, presque 400 et autant te dire que j'aime de moins en moins les livres gras.
Tu as choisi une héroïne qui ne prétend pas l'être, ton auteur en plus, et tu ne nous a livré que ce qui était nécessaire. Dès le début, tu vas à l'essentiel. Lili quitte (fuit ?) Manosque pour aller pêcher en Alaska. Tout à fait normal comme projet. Si on veut savoir pourquoi, tu fais comprendre que ça ne t'intéresse pas tellement. Même chose pour l'âge ou la description physique : tu la surnommes "moineau", ça fera l'affaire.
Tu n'es pas conciliant, on n'a pas envie que tu le sois de toute façon, ça ne t'irait pas trop. Ah, si, tout de même, tu as ajouté un lexique de la pêche pour nous aider un peu. J'aurais bien aimé que tu penses à une carte de l'Alaska ou de l'île de Kodiak mais bon, faut pas trop demander non plus (oui, j'ai regardé sur Internet mais c'est mieux quand tout est à bord, je trouve).
Ta campagne de pêche à la morue, tu l'as déroulée avec une âpreté et une force comme je n'en avais plus lu depuis longtemps. Tu es allé loin pour nous faire comprendre qu'il n'y a que comme ça, saoule de fatigue et d'efforts, dans l'urgence du travail à accomplir que Lili se sent vivre, dans la chaleur du bateau et de l'équipage.Tu l'as bien malmenée, ton moineau mais tu n'as pas spécialement fait tout une affaire de sa condition de femme. Certes, elle est la seule à bord et même si cela n'est pas très fréquent, ce n'est pas pour autant exceptionnel. Tu nous apprends que les muscles ne font pas tout, que l'endurance est sans doute plus importante. Certaines femmes sont même skippers et des marins aguerris se battent presque pour embarquer sur leurs bateaux sachant que la cale sera bien remplie au retour. Bref, on comprend que Lili en a bavé davantage comme novice (tout comme Simon, l'étudiant qui embarque pour la première fois), que comme femme. 
Quand même, elle est rude cette première campagne de pêche et moi aussi, j'étais un peu saoule de cette frénésie de travail, abrutie par les cadences que tu m'as imposées, à suivre tes remontées de palangre (maintenant, je sais ce que c'est) et à essayer de comprendre tous les termes techniques que tu as bien consciencieusement employés. Je n'en pouvais plus que tu ramènes le Rebel à quai. Heureusement, tu l'as fait à temps, peut-être que je t'aurais lâché, sinon. Tu ne me crois pas ? Tu as raison. 
J'étais sûre que tu allais nous traîner dans les bars et là, c'est peu dire que j'étais méfiante. Je ne sais pas comment tu t'y es pris, tu as réussi à rendre poétiques ceux qui les fréquentent assidûment sans tomber dans la caricature (je t'accorde une mention spéciale pour Murphy). 
J'ai adoré ta manière de rendre l'ambiance du port, ton répertoire d'odeurs, un peu comme ton répertoire de paumés. 
Quand on a embarqué pour l'ouverture de la pêche au flétan, j'avais progressé avec toi. C'était rude encore mais j'étais prête, j'avais l'impression de maîtriser. Tu m'as à nouveau remuée quand tu as décrit ce que les marins faisaient de ces géants argentés (j'ai failli sauter des lignes, je t'avoue).
Ah, oui, autre perturbation : ton titre. L'as-tu fait exprès ? Parce que pour moi, le grand marin, il n'était pas question que ce soit autre chose que l'élément, l'immensité (sur laquelle ton héroïne n'a jamais le mal de mer, d'ailleurs. Mais comment fait-elle ?) et voilà que se profile un grand marin, du genre humain, plutôt taiseux, alcoolique aussi mais avec tout ça, son côté Homme-Lion (c'est fou les surnoms que tu lui trouves), ses yeux jaunes, séducteur quand même et oui.
Là, j'ai eu l'impression de me faire avoir car le côté roman d'amour, je n'en voulais pas, ça m'ennuie. Pas besoin de mièvrerie dans toute cette eau salée. Bon, je dois dire que tu as globalement su gérer l'affaire, Comme tu as pu le remarquer, je t'aime bien voire beaucoup mais je suis assez directe avec toi et là, je pense que tu as un peu de gras tout de même. Quand tu l'as fait partir à Hawaï, j'étais soulagée, on allait pouvoir revenir à l'essentiel entre Lili et son besoin impérieux d'être "adoptée par un bateau"  (là, je te cite car c'est trop beau).
Maintenant que ni toi, ni moi, ni elle n'étions plus novices, il fallait repartir, non pas à Point Barrow, (j'ai bien cru que tu allais répondre à ses envies de bout du monde) mais juste se relancer pour se faire accepter du grand marin.

Pour lire le billet de Mior avec une très jolie phrase de conclusion, c'est ici.

samedi 9 juillet 2016

Spiridon Superstar de Philippe Jaenada

Que Philippe Jaenada contribue à la collection Incipit, qui se propose de raconter les "grandes premières fois", pourquoi pas après tout ? Mais lorsqu'il choisit le thème des premiers Jeux Olympiques, ça peut surprendre, a priori, pour qui l'a déjà un peu lu. 
Le sport et lui, c'est clair que je n' avais pas spécialement pensé à les associer sauf qu'il y a du héros dans cette affaire ou du anti-héros, du champion malgré lui et là, évidemment, ça colle davantage. 
Plus habitué aux trames contemporaines, notre spécialiste des parenthèses savoureuses a  un peu bossé son sujet mais ne l'avoue qu'à demi-mots (timide, tiens donc ?) : manquerait plus que ça qu'on le prenne au sérieux. 
Qui a-t-il choisi de mettre sur le devant de la scène cette fois ? Un certain Spiridon de Maroussi, petit village à 15 km d'Athènes. Spiridon a été champion olympique du marathon, discipline reine avec le lancer de disque mais si personne ne le connaît (ou l'a oublié), c'est parce que tout cela se passe en 1896, lors des (premiers) Jeux olympiques, en tout cas ceux communément appelés "de l'ère moderne" (je précise que les historiens utilisent le terme "contemporain" pour cette période, faudrait voir à pas nous embrouiller tout de même). 
Après un exposé (documenté l'air de rien) sur les Jeux antiques, l'auteur nous associe à leur rénovation au XIXème siècle, tout en ramenant à sa juste place (importante tout de même) le rôle du baron Pierre de Coubertin (où l'on apprend ou réapprend au passage que l'idée du marathon venait d'un certain Bréal et où l'on nous démontre que la très célèbre citation associée à Coubertin, je vous laisse deviner laquelle, aurait été déformée dans son interprétation...).
Mais revenons à Spiridon. On est loin de l'athlète professionnel, on s'en doute. Spiridon est porteur d'eau. Depuis tout gosse, il court à côté de la charrette de son père, chargée de lourdes jarres remplies d'eau de la source du village, appréciée des Athéniens. Représenter son pays, il s'en passerait bien (et puis, il n'est pas le seul, les marathoniens grecs sont plus d'une dizaine) mais voilà, cette course emblématique est devenue un enjeu national. Alors Spiridon fait de son mieux...
En peu de pages, dans un style qu'on ne présente plus (non, trop facile...), dans un style qui consiste en un savant dosage d'humour et de digressions installant une complicité naturelle avec le lecteur, Jaenada parvient à nous rendre attachant ce champion qui n'avait pas pensé le devenir un jour, témoin d'une proposition nouvelle pour le sport mondial à laquelle les femmes n'avaient cependant pas été conviées (pour cela, il faudra attendre 1900).

Ouest de François Vallejo

Un titre comme un ancrage. C'est sur ces terres de l'Ouest, associées aux guerres civiles de la Révolution que va se dérouler, se figer même, l'ensemble du roman. Sans que l'on sache précisément où dans cet Ouest, plus historique que géographique, l'histoire, tel un huis-clos ne sortira pas (ou seulement par propos rapportés) du domaine des Perrières, propriété de la famille de l'Aubépine. Monsieur de l'Aubépine est un maître que l'on peut qualifier de traditionnel. Royaliste, "tueur de Chouans", il a été de toutes les guerres de l'Ouest. Apprécié de ses gens qui l'estiment sévère mais juste, le vieux noble déconcerte cependant par le traitement particulièrement méprisant qu'il inflige à son fils unique. Pas étonnant donc que celui-ci choisisse l'autre camp, celui des Républicains et qu'une fois devenu maître du château, il s'intéresse de près à son garde-chasse, Lambert dont le père a été un soldat de la Révolution, un "bleu". Sauf que Lambert ne revendique pas spécialement cet héritage et de ce malentendu initial va naître une tension de plus en plus forte que François Vallejo a su parfaitement rendre sur le plan narratif.
Ce n'est pas qu'il refuse d'avoir un maître républicain, Lambert mais les idées nouvelles du baron, personne ne les comprend et puis comment se débarrasser de ses habitudes serviles comme l'y encourage le maître quand on peut être chassé du domaine du jour au lendemain avec femme et enfants ? Chaque jour, il lui faut supporter les nouvelles lubies du baron, s'adapter à son humeur changeante, protéger son épouse Eugénie qui sert au château et surtout Magdeleine, sa fille aux traits délicats. Heureusement, Lambert respire un peu lorsqu'il part chasser avec sa meute, des bêtes puissantes et dociles qui font sa fierté et notamment le Rajah, un molosse, mélange de force et de douceur et dont l'auteur a su faire un véritable personnage.
Et ce siècle qui est tout aussi changeant que la personnalité de Monsieur de l'Aubépine. Avec les événements de 1848, il frétille et le voilà à Paris, prêt à jouer un rôle dans cette nouvelle République. On ne lui donne pas mais c'est égal, il est d'humeur joyeuse et ramène toutes sortes de "créatures" au château. Quand la trahison de "l'usurpateur" intervient en 1852, il n'a de cesse d'entrer en contact avec son principal adversaire, le grand écrivain exilé à Guernesey. Une lubie de trop pour Lambert...
Ouest est un roman troublant. Je n'ai pas été gênée, pour ma part,  par le choix qu'a fait l'auteur pour introduire ses dialogues, cette sorte de position intermédiaire entre la narration et les échanges verbaux. Au contraire, j'ai trouvé cela habile. Tout comme j'ai trouvé intéressant d'évoquer les bouleversements politiques du XIXème siècle et notamment des événements plutôt parisiens depuis un ancrage provincial, un peu comme l'écume lointaine d'un tumulte. Car le vrai trouble n'est pas là, il est dans la tension entre le maître et son garde-chasse, un domestique, au sens étymologique du terme, celui qui est attaché à la domus, la maison parce qu’il y vit, y a sa famille, ses repères et y exerce son savoir-faire, en maître avec ses chiens, parcourant "ses" bois. Lambert n'est pas servile par faiblesse mais par force en quelque sorte. Monsieur de l'Aubépine, quant à lui, n'est pas forcement républicain par conviction mais peut-être par dépit. Décidément, rien n'est lisse, ni évident sur ces terres de l'Ouest.