mercredi 17 juin 2015

La Triomphante de Teresa Cremisi


Son vrai triomphe réside sans nul doute dans l'adaptabilité et non dans une forme de vindicte agressive que l'on pourrait à tort associer à toute forme de pouvoir. Dans ce roman d'inspiration autobiographique, Teresa Cremisi montre combien la diversité de ses origines familiales,  son enfance insouciante à Alexandrie dans les années 40 puis la découverte de l'Occident après la crise de Suez en 56 ont façonné en elle un matériau souple et multiple, nourri d'influences diverses qui lui a permis de s'adapter à des situations professionnelles inédites. Sans pavoiser et plutôt modestement, en reniant quelque part une nature qui aurait été naturellement plus fantasque ou plus entière (comprenant vite l'inefficacité d'une telle attitude), elle a finalement réussi un parcours  brillant allant de l'Italie à la France, de journaliste à patronne de maisons d'édition.  Elle a appris et parfois oublié plusieurs langues mais toujours le français a tenu une place à part, comme un ruban précieux, venu de l'enfance, témoin de l'attachement à une culture. Elle évoque bien sûr les lectures et les auteurs qui l'ont marquée et j'ai aimé sa façon de les présenter comme des jalons indispensables.
L'écriture est belle, équilibrée, le récit est fluide mais je dois reconnaître qu'il ne m'a pas intéressé de manière égale. J'ai davantage apprécié la narration de l'enfance et celle de la maturité qui m'ont paru plus sensibles et poétiques que celle de la vie active avec son côté "maîtrisé" (certes, je reconnais que c'est une qualité nécessaire dans le monde professionnel). 

Une impression en tout cas de sérénité et de pudeur, presque de douceur, de pugnacité discrète mais efficace, de richesse culturelle indéniable.

C'est la chronique de Delphine Olympe qui m'a donné envie de le lire.

dimanche 7 juin 2015

Histoire d'Irène d'Erri de Luca


Je découvre Erri de Luca avec cette jolie Histoire d’Irène et j’ai un peu la même sensation que lorsque j’ai lu mon premier Modiano, celle d’entrouvrir la porte d’un univers littéraire à la symbolique riche et subtile dont je ne perçois encore qu’un rai de lumière. C’est donc à petits pas que j’écris cette critique tant j’ai le sentiment que ce livre se rattache à un ensemble, une œuvre qui fait sens dans sa globalité.

On lui a donné un prénom dont l’étymologie en grec rappelle le mot « paix » mais ce n’est pas sur cette minuscule île méditerranéenne, où on l’a trouvée, échouée sur la plage après une tempête qu’elle goûte la quiétude. Venue de la mer, elle y retourne chaque nuit pour nager en compagnie des dauphins, ses seuls amis. Aux humains qui se méfient d’elle, elle ne parle pas et les laisse penser qu’elle est sourde et muette. Quand son ventre d’adolescente s’est arrondi, on ne l’a plus saluée. Peu importe, Irène n’attend rien des îliens mais tout de la mer. Un seul connaît son secret, un vieux conteur, un peu solitaire lui-aussi. A défaut d’être le père ou le grand-père de cette orpheline bientôt mère, il lui invente des histoires et prolonge ainsi la magie de sa symbiose avec les dauphins.

Ce court roman a des allures de récit mythologique. L’ancrer dans une époque serait superflu car le lecteur est comme plongé dans la nuit des temps. La mer est une matrice qui a enfanté une sorte de créature sirène. Elle-même y donnera la vie et aidera à son tour à la donner.
Grâce à une écriture d’une grande poésie, l’auteur parvient à brouiller les frontières du réel et nous emmène dans ce conte aux tonalités universelles qui laisse une sensation irénique. 
Mais qui a dit de se méfier du chant des sirènes ?