mercredi 29 juillet 2015

Les heures silencieuses de Gaëlle Josse

Si Magdalena Van Beyeren a choisi de confier ses secrets les plus intimes mais aussi ses pensées les plus libres à un journal, c'est parce qu'elle sait qu'il est impossible, pour une femme de son époque, de les exprimer à voix haute ou encore moins d'être autorisée à les vivre. Nous sommes en 1667, à Delft, au cœur du siècle d'or des Provinces Unies. La prospérité de Delft, siège de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales témoigne de la spectaculaire réussite commerciale et maritime de la jeune République. Dès son enfance, Magdalena se trouve aux premières loges pour prendre la mesure de cette domination car son père n'est autre que l'administrateur de la compagnie. Certes, elle ne pourra pas hériter de sa charge car elle est née fille mais sa qualité d'ainée lui donne le privilège d'être associée aux affaires maritimes. Comme il est bon alors de goûter ce vent de liberté qui accompagne navires et équipages plutôt que de rester confinée, comme sa mère et ses sœurs, dans l'ennuyeuse gestion des affaires domestiques.
Delft est aujourd'hui immanquablement associée à la renommée du grand maître, Johannes Vermeer, particulièrement apprécié (mais il n'en fut pas toujours ainsi) pour ses scènes de genre. Pourtant, c'est avec un tableau d'Emmanuel de Witte que Gaëlle Josse choisit de nous ouvrir la porte de cette demeure hollandaise. Avec habileté, elle imagine un contexte autour de cette toile, explique, par  exemple, pourquoi Magda a voulu être représentée de dos, jouant de l'épinette. A 36 ans, fatiguée par des grossesses répétitives, déjà presque considérée comme une vieille femme, elle ressent de besoin de se confier, d'exprimer les peurs et frustrations qui la tiraillent afin de s'en affranchir. Femme positive, elle n'oublie pas non plus d'évoquer ses joies, ses enfants bien sûr mais aussi son goût pour la musique.
J'ai particulièrement apprécié la justesse de l'écriture de Gaëlle Josse car elle correspond parfaitement au ton intime qui constitue la trame de la narration. Elle a réussi selon moi, un dosage équilibré, un fond de sobriété, propre au contexte historique et à l'éducation contrainte des filles, rehaussé par des envolées plus personnelles (après tout, Magda a trouvé avec ce journal, un espace de liberté). J'ai été assez impressionnée par l'efficacité de ce roman car l'auteur a su, en 89 pages (mais rien ne paraît bâclé) nous présenter une femme aux différents âges de sa vie et selon différents rôles, fille, sœur, épouse, mère, le tout avec une belle sensibilité. En plus, je me suis beaucoup amusée à retrouver les différents tableaux de Vermeer évoqués dans le roman.
Un roman concis et réussi, où l'intimité du journal et celle du tableau se répondent subtilement.

lundi 27 juillet 2015

Gueule de bois d'Olivier Maulin


Pour cette critique, je déroge quelque peu à la règle que je me suis fixée en créant ce blog (les lecteurs assidus auront deviné, je ne publie de billets que sur les livres que j'ai appréciés, oui, je sais, on note déjà une exception avec La vérité sur l'affaire Harry Quebert) mais 1) ce blog risque de passer pour l'espace numérique des bisounours 2) de toute façon, j'ai acheté ce livre en dérogeant à l'une de mes règles, à savoir être inspirée par le titre, 3) j'ai envie de concaténer en poussant un coup de g..... sur G..... de bois qui m'a trop énervée à la page 11.

Si l'auteur a voulu donner un sens à ce livre, je ne l'ai pas trouvé, la couche de vulgarité et d'inepties m'a sans
doute empêchée de le percevoir. Il faut dire aussi que la mention "connasses sans cervelle" pour qualifier des lectrices de magazine, donc des femmes, ne m'a pas spécialement mise dans de bonnes dispositions.  Oui, je sais bien, c'est un livre, une posture qui se veut littéraire mais je le dis tout net, pour moi, ça ne passe pas, surtout pas en titre et enrobé, par exemple, du mot "parfaite". Si c'est une mode, je la trouve franchement de mauvais goût. Il est clair que le titre du livre n'annonçait pas la grande classe non plus, me direz-vous. Certes. Mais là, c'est assez collector sur les 118 premières pages ou alors, c'est un match entre vulgarité et mauvais goût et je ne l'ai pas compris. En aucun cas, je n'ai trouvé cette bande de pochtrons un tant soit peu attachante. Même le mot pathétique, je ne peux pas l'employer. Je les ai trouvés tout simplement minables. Quant aux femmes, elles sont soit potiches (variante de c........ sans cervelle ? ) soit karatéka.
Soulagement d'arriver à la page 118 (la partie 2) où enfin le personnage principal a dessaoulé. Comme une juste récompense d'avoir tenu jusque là, l'auteur nous gratifie d'un joli passage, limite poétique : Pépé Alphonse et son jardin, 4 belles pages, on n'ose y croire après toute cette vulgarité. Ensuite, on a droit par le menu à l'analyse des enjeux de la filière bois, version développement durable (je précise que le personnage principal, Pierre est journaliste, spécialisé dans les préoccupations environnementales, mais sans y croire du tout, oui, il est parfaitement cynique). Au moins, ce passage a le mérite d'être instructif mais c'est bien un roman que j'ai choisi et non un documentaire.  Sans transition, on passe à un argumentaire, défendu férocement par une sorte de Rambo déjanté, sur la nécessité de la réintroduction du loup dans les grandes forêts françaises. Précisons que celui qui avance ces arguments, "le lieutenant" a autant de considération pour les moutons que Pierre pour ses lectrices. Après ces différents épisodes, je me suis demandée dans quelle direction allait partir le livre parce que je dois bien l'avouer, je cherchais bêtement un lien dans tout ça. J'avais reconstitué mon capital indulgence après la rencontre tout en sensibilité avec le personnage d'Himelin, celui que tout le monde prend pour un simplet mais dont la connaissance de la forêt est stupéfiante. Il est de plus en parfaite symbiose avec elle, c'est un sourcier des plus doués. Hé bien non, pour me gâcher cette impression fugace que je n'avais pas complètement perdu mon temps à lire ce livre, il a fallu que l'auteur fasse revenir sa bande de minables du début, tous planqués dans une maison de retraite et prêts à faire la révolution. Franchement, le retour de l'infirmière karatéka (avec des gros nénés, bien sûr), c'est comme cette mode d'insulter, presque l'air de rien, en passant, les femmes, j'aimerais bien qu'on s'en passe.

vendredi 17 juillet 2015

Le blues du braqueur de banque de Flemming Jensen


L’avantage, avec un libraire qui vous connaît bien, c’est qu’il est capable de déterminer quel genre de lecture vous agrée de manière générale (voire vous enthousiasme), mais aussi selon votre humeur du moment. Je me suis donc adressée à mes libraires avec une consigne volontairement peu subtile (j’aime bien les mettre au défi), celle de me trouver des livres sans prise-de-tête, limite « Oui-Oui ». Après un sourire melliflue de leur part me signifiant qu’ils avaient déjà saisi la part d’exagération dans mon propos, je me suis retrouvée avec un livre à la couverture que je qualifierai d' efficace. L'auteur est danois, je ne le connaissais pas mais en général, j'aime assez la littérature d'Europe du Nord, pour son côté désopilant notamment. Je n'ai pas été déçue. 
L'histoire est racontée par un braqueur de banque avec une forme d'application un peu maladroite qui donne d'emblée une certaine légèreté de ton (bien que les thèmes abordés ne le soient pas) . Le narrateur s'emploie à expliquer sa démarche : il emprunte la forme d'un sketch célèbre au Danemark s'organisant en trois parties : l'exposition (sorte de longue introduction), la description des personnages et le dénouement. Il agrémente chaque chapitre d'une sorte de chapeau que j'ai trouvé parfois un peu lourd dans l'effet comique recherché et qui a l'inconvénient de dévoiler une partie de l'intrigue. 
Si notre narrateur s'applique autant, c'est qu'il est pantois d'admiration devant l'intelligence de son personnage principal, Max. Intelligence largement sollicitée car Max s'est mis dans une situation apparemment inextricable. Il a assassiné le Premier ministre du Danemark, Tom, son meilleur ami. Max est son "Spin Doctor", son conseiller de l'ombre depuis des années, celui qui excelle à manipuler l'opinion, à louvoyer dans les plus hautes sphères politiques mais qui laisse sur le devant de la scène, son ami, son pantin aussi, plus charismatique. Mais voilà que Tom a voulu remettre en question cet accord...Il faut dire que la situation est tendue car un énorme poil à gratter des relations entre le Danemark et les Etats-Unis est à nouveau sur la sellette : la base de Thulé au Groenland. Au cœur de cet enjeu géopolitique hérité de la Guerre froide, la question du devenir d'une poignée d'Inuits devient embarrassante dès lors qu'elle trouve écho parmi l'opinion publique danoise dans son ensemble (on apprend sur la quatrième de couverture que Flemming Jensen est un défenseur de la cause groenlandaise). Pourtant Max, rompu à toutes les magouilles, a déjà trouvé la parade. Mais voilà que les choses se compliquent encore : un match de football injustement perdu par l'équipe nationale face au voisin suédois qui tourne à l'émeute, les caprices d'une femme de Premier ministre qui dégarnit les rangs des services d'ordre et c'est la gaffe, impossible à rattraper. 
Jensen s'amuse à placer des événements apparemment sans lien entre eux, d'importance variable, les uns probables, les autres complètement loufoques, certains relevant de la sphère publique, d'autres du domaine privé, pour créer une sorte de tourbillon frénétique autour de ces personnages. L’ensemble est assez alerte et distille pas mal de messages, notamment sur la démocratie, la manipulation de l'opinion publique, les opportunismes de tout genre, tout ça sans avoir l'air de paraître trop sérieux. Le personnage de la jeune scoute, témoin presque direct de l'assassinat est le contrepoint naïf au cynisme de Max.
Pourtant, il faut peut-être apprendre à se méfier des oies blanches, comme de tous les pantins d'ailleurs.

dimanche 5 juillet 2015

L'élixir d'amour d'Eric-Emmanuel Schmitt

Je lis assez peu de romans d’amour. Je crains de m’ennuyer au bout de quelques pages, de me sentir incongrue dans l’histoire quand celle-ci devient trop intime. En général, je finis par trouver ça mièvre et quand c’est beau, j’ai une petite tendance à penser que c’est une beauté facile à obtenir, un peu comme l’écume portée sans effort par la vague. Bref, je ne suis pas très bon public avec les romans d’amour, pas plus qu’avec les romans épistolaires d’ailleurs (et justement ceux qui évoquent les circonvolutions amoureuses) car selon moi, le best a été atteint dès le XVIIIème siècle, tout le monde aura compris à quel livre je fais référence. J’aurais pu nuancer ce propos après la lecture de Eux sur la photo d’Hélène Gestern que j’ai trouvé bien écrit, intéressant, bref réussi mais, portée par un enthousiasme soudain, j’ai cru bon d’enchaîner avec Quand souffle le vent du Nord  de Daniel Glattauer et l’ennui provoqué par cette lecture m’a échaudée pour un bon moment. C’est donc avec circonspection que j’ai entamé ce livre, conseillé par une amie.  Heureusement dans le bagage des a priori m’accompagnant tel un lest par trop pesant, rien sur l’auteur. Il est certes plutôt prolixe mais je ne le connaissais que de nom. Mais
Merci à C-M pour ce beau moment
de lecture
venons-en à ce livre que je n’aurais jamais tenté si on ne me l’avait pas conseillé (le titre associé à la couverture, pour moi qui aime assez la sobriété, c’est un peu too much…). 
L’élixir d’amour est en fait davantage un roman sur l’amour qu’un roman d’amour (quoi que…). Il amène à réfléchir sur ce qui provoque le sentiment amoureux et peut-être aussi sur ce qui le fait durer ou non. Adam (prénom dont le choix ne doit sans doute rien au hasard) et Louise, amants fraîchement séparés au terme d’une relation intense de 5 ans entreprennent une correspondance, de part et d’autre de l’Atlantique, dans laquelle ils analysent le déclenchement du sentiment amoureux, son développement, le rapport au désir, à la jalousie, à la fidélité. Les deux épistoliers tissent une sorte de carte mentale autour du mot « amour » le triturant dans tous les sens de manière fort pertinente (un florilège de citations…). Il est psychanalyste, rompu à tous les décorticages possibles en matière de sentiments ; elle est avocate, spécialiste en argumentation. Ils sont bien sûr tous deux très intelligents, subtils même et c’est un véritable plaisir de les lire sous la plume de cet auteur qui sait assez bien doser son écriture. Même la forme épistolaire n’est pas pesante, l’auteur a évité l’ajout de la date qui n’apporte rien et surtout, il s’est tenu à l’usage des lettres et ne s’est pas abaissé aux SMS (oui, je dois être ringarde, je trouve qu’il y a des limites à ce qu’on peut intégrer dans un roman). Le passage un peu mièvre, à mon sens, celui où Adam décrit son état amoureux pour Lily est assez réduit, donc supportable… Quant à l’issue du roman, le « quoi que » un peu plus haut, invite à penser que la carte mentale s'apparente peut-être à une toile, amoureusement tissée bien sûr...

La Petite Gare de Iouri Kazakov

Un rectangle jaune dans la nuit, la fenêtre éclairée d’une isba : l’envie de s’approcher et de regarder à l’intérieur. L’ensemble est sobre, presque austère. Dans un angle, un poêle ronfle et sur une table basse, un thé qu’on devine réconfortant laisse échapper ses volutes fumantes. Ce pourrait être le décor d’une des nouvelles de Iouri Kazakov, nouvelles écrites entre 1954 et 1958 et rassemblées dans cet ouvrage. Des scènes de vie qui animent des protagonistes ordinaires magnifiés par la justesse de leurs sentiments. Leurs histoires amoureuses sont parfois contrariées, parfois balbutiantes voire maladroites mais toujours présentées avec une sincérité qui émeut. Dans ce registre, j’ai particulièrement apprécié « Manka », une nouvelle qui met en scène une jeune factrice un peu sauvage, apeurée par la découverte de ses premiers émois amoureux. Mais c’est en fait la nature qui s’invite le plus au travers des nouvelles. Avec un immense talent, l’auteur restitue les différents états de la forêt ou de la campagne, comme un tableau changeant selon les heures du jour ou les saisons. Il ajoute à ce tableau une palette sonore (est-ce sa carrière de musicien qui l’influence ainsi ?) faisant bruisser la forêt et crisser la neige de mille manières. Cette dernière devient presque un personnage à part entière, tant l’auteur sait trouver d’adjectifs pour la qualifier. Iouri Kazakov n’est pas en reste non plus pour décrire la mer et ses états tumultueux, la nouvelle « Manka » comporte une scène de relevé de filets sous la tempête absolument prodigieuse. Précisons que « Manka » est dédiée à Constantin Paoustovski, un autre nouvelliste russe que je ne connaissais pas et qui, d’après les rapides lectures que je viens de faire, avait aussi le don, de magnifier dans ces textes, la Russie rurale. Est-ce par ce qu’elle a été autant malmenée à l’époque du stalinisme que cette Russie là a été défendue de manière aussi poétique et sincère par certains auteurs ? Mais si on en discutait autour de ce thé qui nous attend...