mardi 19 janvier 2016

Mariages de saison de Jean-Philippe Blondel

Comme dans Le baby-sitter, Jean-Philippe Blondel a trouvé une porte d'entrée ou plutôt un œilleton pour observer ses personnages. La focale est ici directe puisqu'il s'agit d'une caméra, une caméra d'abord braquée sur des mariés qui ont choisi de faire appel à des vidéastes professionnels, Yvan assisté de Corentin, son filleul. Corentin a abandonné ses études d'Histoire et ce travail saisonnier, initialement prévu comme temporaire s'installe en fait dans la durée ce qui ne manque pas d'inquiéter ses parents qui souhaiteraient le voir plus établi professionnellement et sentimentalement. A 27 ans, Corentin est un beau garçon qui ne manque pas de petites amies mais qui n'en retient aucune. La faute exclusive à son emploi du temps contraint, laissant chaque week end la fiancée esseulée ? Pas si sûr...
Toujours est-il que Corentin filme le bonheur, conjugal, des autres, suscitant parfois, malgré la mécanique huilée, des confessions inattendues. De la déclaration d'amour ou de désamour probable, les nouveaux unis se livrent à sa caméra ou à son oreille. Ayant pris le goût de cette intimité désormais numérisée, non pas pour ce qu'elle pourrait avoir de voyeur mais bien parce qu'elle approche la matière sensible des gens, Corentin invite alors des proches à se confier sur la pellicule comme ils le feraient sur le divan d'un psychanalyste. 
Mais celui qui capte le son et l'image, qui prend la confidence, recueille le secret, saisit l'émotion ne doit-il pas aussi donner de lui-même pour avancer ? Quand la caméra agit en paravent du monde, peut-être est-il temps de la braquer dans l'autre sens ?
J'avoue que j'ai été un peu moins convaincue par la matière des personnages que dans les autres livres de l'auteur que j'ai lus. Sur le "grain" d'image de Corentin, j’aurais aimé quelques pixels supplémentaires.
J'ai cependant apprécié de jouer les assistantes vidéastes le temps de ma lecture. J'ai apprécié de retrouver la musicalité si particulière de Jean-Philippe Blondel, ces phrases comme des images qui s'enrichissent entre elles au montage, une page musicale en quelque sorte.

samedi 16 janvier 2016

L'ombre de nos nuits de Gaëlle Josse

Nom de l'auteur, photo de couverture, titre, convergence de ces éléments : en quelques secondes, ce livre, posé comme un tableau sur son présentoir de librairie a abouti dans mes mains. Il s'est placé sans vergogne en haut de la pile à lire (que je gère certes très anarchiquement). Gaëlle Josse sait parler à ses lecteurs, notamment ceux qui ont aimé Les heures silencieuses. Cependant quand on risque un tel clin d’œil, il faut savoir tenir son accroche.
C'est plus que réussi. 
L'auteure reprend donc comme matériau de départ, une célèbre peinture. Même siècle, le XVIIème mais autre lieu. Cette fois, le tableau nous transporte  à Lunéville en Lorraine, terre "d'effroi et de désolation" ravagée par la peste et les guerres incessantes contre le royaume de France qui le convoite pour sa position frontalière. Ce contexte géopolitique contrecarre quelque peu les visées de Georges de La Tour, Maître de La Tour, déjà notable en sa Lorraine, notamment en raison de la dot de Diane, sa noble épouse mais qui ambitionne davantage, approcher rien de moins que le roi de France, Louis XIII avec un tableau dont la beauté et surtout la lumière si particulière sauront l'émouvoir. N'est-il pas le peintre dont on copie déjà la manière dans des ateliers de Nancy ? N'est-il pas celui qui se permet de défier l'arrogance des seigneurs, refusant les portraits qu'on le presse de réaliser ? C'est une scène religieuse qu'il présentera au roi, un Saint Sébastien soigné par Irène, dans une scène de nuit qui vaut désormais comme sa signature. N'en déplaise à Diane, c'est Claude, la fille aînée qui servira de modèle pour Irène. Sa Grâce, sa douceur siéront à merveille. Vers qui ses pensées se tourneront-elles lorsqu'elle posera des heures durant, dans une immobilité totale pour ne pas décevoir ce père admiré mais craint en raison d'un caractère souvent peu amène ? Tout à son art, le maître est loin de se douter que le cœur de sa fille aînée si sage bat pour un chevalier de passage, soldat cantonné dans sa demeure. Laurent, l'apprenti, a compris. Mais qui est-il, lui, petit orphelin dont la famille a été décimée par la peste pour parler, pour avouer à Claude ses sentiments ? C'est l'autre voix de ce roman, moins impétueuse que celle du maître, moins torturée par la maïeutique de la création. Il apprend avec application, se reconnait quelques compétences surtout lorsqu'il compare ses progrès à ceux d'Etienne, le fils du maître mais sait rester lucide. Jamais il n'égalera le maître, jamais il ne saura transcender la technique pour habiter les personnages de sa vision intérieure. Avec ces deux voix qui se répondent, on est au cœur de la genèse du tableau, ce ressort si particulier qui produit le chef d’œuvre.
Gaëlle Josse a su enrichir son texte en apportant une voix contemporaine, celle d'une jeune femme qui le regarde, le contemple même et y trouve un écho inattendu à sa propre histoire. Entrée pour cause d'averse dans ce musée de Rouen, elle est sidérée par la résonance. Irène qui soigne Saint Sébastien, c'est elle qui a tenté de guérir de ses blessures, B., un homme qu'elle a beaucoup aimé alors que lui s'est contenté de l'aimer bien, quand on sait ce que l'ajout de cet adverbe enlève de don de soi. Elle, s'est donnée totalement, s'est aliénée au risque de se perdre mais comme Irène, n'a approché que le corps.
Que ce soit le thème de la création artistique ou celui d'un amour qui consume, Gaëlle Josse maîtrise son sujet à merveille. Je découvre une autre facette de son écriture que j'avais trouvé jusque là, très poétique mais parfois un peu bridée. Elle a su trouver une voix singulière pour parler du sentiment amoureux et j'ai quelques difficultés pour en rendre compte de manière précise. Disons que ce n'est pas un lyrisme facile de surface. L'écriture reste dans une certaine forme de sobriété, de maîtrise.  Pourtant l'amour inconditionnel de cette femme est exprimé dans toute sa puissance.
L'écriture de Gaëlle Josse est comparable à la lumière des tableaux du maître. Elle ne se disperse pas en vaines lueurs mais son éclairage tout en délicatesse laisse apparaître une vérité des sentiments particulièrement fascinante.


Je l'inscris au non challenge des pépites 2015-2016 de Galéa.

dimanche 10 janvier 2016

La femme au colt 45 de Marie Redonnet

Souvent c'est un auteur, un livre dont on a entendu parler ou que l'on nous a conseillé, parfois c'est un titre, une couverture qui ont retenu notre attention. Pour choisir La femme au colt 45, je coche l'entrée par la maison d'édition (bon, d'accord, la couverture a joué un peu aussi). La lecture du Caillou de Sigolène Vinson aux éditions du Tripode m'avait fait découvrir non seulement une auteure que je ne connaissais pas mais aussi une écriture originale. Avec ce livre, je découvre une autre auteure (mais mon libraire m'a aussitôt appris qu'elle avait déjà publié) et une écriture somme toute singulière mais je ne chercherai pas à comparer plus avant ces deux lectures, cela n'aurait pas de sens.
Cette femme au colt 45, c'est Lora Sanders, la belle cinquantaine,  douée au tir depuis un apprentissage précoce et actrice au Magic Théâtre. (J'emploie le mot choisi par l'auteure, "actrice" et pourtant il s'agit de théâtre. Naïvement, je pensais que acteur s'employait pour le cinéma et comédien pour le théâtre mais après quelques lectures, il s'avère que cette distinction n'est pas très pertinente, celle que propose Jouvet l'est davantage !)
Savoir utiliser un colt 45 est bien utile a priori quand on vit dans un pays plongé dans une dictature féroce et que l'on cherche à fuir vers l'Etat voisin qui ne s'avèrera pas être le refuge escompté mais tout autant une terre de chaos et de violence. C'est bien utile aussi quand on se retrouve seule. Zuka, le mari et directeur du théâtre a été arrêté car ses pièces ne correspondaient pas à la ligne fixée par la dictature du général Rafi. Le fils Giorgio est entré dans la lutte armée. Lora ne peut donc compter que sur elle-même lorsqu'elle débarque dans la ville de Santaré. Même armée de son colt 45, elle reste une proie facile. L'actrice doit  développer des stratégies de survie, se réinventer chaque jour ou peut-être simplement s'inventer tout court, se donner une consistance propre, sans être modelée par l'influence d'un père violent ou celle d'un mari aimant mais finalement trop enrobant. Qu'a-t-elle saisi de la réalité de la vie, choyée comme une star au sein du Magic Théâtre ? Qu'a-t-elle compris de son pays ? et d'elle-même ? De serveuse de pizzas en passant par libraire, elle retourne finalement au théâtre en prenant soin de se débarrasser des oripeaux de sa carrière précédente.  C'est donc un parcours initiatique, un parcours de libération d'une femme qui entre pourtant dans la maturité que nous propose Marie Redonnet sur à peu près une centaine de pages (ce qui ne permet pas bien sûr tous les développements). En ce qui concerne l'écriture, j'ai trouvé très réussi le rythme donné par les changements de points de vue. L'auteure alterne des passages à la première personne du singulier où Lora s'exprime et se confie avec des passages à la troisième personne où le lecteur la regarde évoluer, obtient des précisions sur ses gestes, son habillement.  Cela fait évidemment penser aux didascalies... de théâtre, allais-je dire mais elles existent aussi au cinéma !
Que la caméra glisse ou que le rideau s'ouvre, peu importe car le plus vaste imaginaire est encore celui du lecteur, me semble-t-il...

samedi 9 janvier 2016

Le Baby-Sitter de Jean-Philippe Blondel

Imaginez une sorte de grand dadais, d'allure nonchalante, dégageant  presque malgré lui un sentiment de bonhomie. Imaginez-le tout juste sorti de l'adolescence mais déjà en prise avec des réalités adultes, pécuniaires par exemple et de fait, dans l'obligation de trouver un moyen de compléter ses subsides, compatible avec son statut d'étudiant. Alex, notre personnage  principal propose alors ses services dans la garde d'enfants, pas vraiment convaincu qu'on fera appel à lui mais finalement sollicité par quelques couples car Mélanie, l'efficace boulangère du quartier, a joué les relations publiques.  Le voici désormais baby-sitter attitré auprès de quelques familles, devenant parfois un appui indéniable à leur équilibre.
Progressivement, parce qu'il est un type plutôt tranquille qui semble ne jamais s'imposer, n'appartenant ni à la catégorie looser ni à celle des champions, parce qu'il est le genre de personne avec qui on se sent d'emblée en confiance, un peu comme une pause de bien-être, Alex, avec ses tout juste 19 ans, attire à lui les confidences tout autant qu'il cristallise les fêlures de ces quadras qui l'ont embauché. Il soutient Mélanie que son mari a quittée, il devient l'ami de Max qui vit mal la séparation hebdomadaire, pour raison professionnelle, avec son épouse et qui cache un lourd passé. Avec sa naïveté, il ébranle la bulle d'indifférence que s'est forgée, Irina dont le père a disparu dans des circonstances troubles en URSS. Il sauve la vie d'Emile aussi et on imagine la reconnaissance infinie de ses parents.
Ces rencontres avec des adultes plus âgés que lui questionne son propre rapport à ses parents, à sa mère qui l'a eu très tôt et l'a élevé seule mais sans jamais le considérer comme un problème dans sa vie, à son père qui au contraire l'a plutôt mis de côté.
Le dernier chapitre, à plusieurs voix, est particulièrement réussi et l'événement qui va réunir tous les protagonistes de l'histoire est génial dans sa simplicité. Il serait dommage de le dévoiler.
L'écriture de Blondel est comme le personnage principal de ce roman, Alex. Elle a l'air modeste ou du moins ne cherche pas des effets spectaculaires tout en ayant cependant sa musicalité. On y adhère en confiance, on s'y sent bien. J'aime cette fluidité du propos qui laisse toute la place aux personnages, à leurs histoires respectives et j'aime que l'auteur nous les rende attachants.  J'aime cette délicatesse de l'écriture qui ne s'impose pas mais qui percole doucement pour livrer la profondeur de sens, l'air de rien.

dimanche 3 janvier 2016

D'après une histoire vraie de Delphine de Vigan

J’aurais sans doute bien aimé ne pas aimer ce livre, cela m'aurait confortée dans l'idée que non, vraiment non, l'autofiction, un auteur qui se met en scène comme personnage, ça ne m'intéresse pas. 
Ça ne m'intéresse toujours pas d'ailleurs et j'ai lu les premières pages, un peu agacée, non pas tant sur le fait que Delphine de Vigan insiste sur la surprise qu'a représenté pour elle l'énorme succès de son précédent livre (je la crois sincère et j'ai apprécié ce livre) mais sur le principe même qu'elle parle d'elle, de sa personnalité un peu bancale, utilise son vrai prénom, parle de l'homme qu'elle aime... Pour moi et c'est sans doute naïf, l'écrivain en tant qu'individu ne doit pas être trop transparent sinon, je ne vois que lui ou elle et pas assez son œuvre. Autrement dit, entre ce livre et moi, ce n'était pas gagné.
Mais c'est un livre intelligent, bien écrit et qui questionne des thèmes riches :  le rôle de la littérature,  ce qu'attendent les lecteurs, le rapport de l'écrivain à son lectorat. Parce qu'on a dû lui poser la question un nombre de fois incalculable, Delphine de Vigan triture la part du vrai, de l'authentique, du réel, de l'autobiographie et de la valeur  (surestimée ?) qu'on leur accorde. Comme sur un ring, elle met cette part de vrai en compétition avec la fiction. Elle le fait via deux personnages, elle-même qui défend l'idée de la fiction (parce qu'elle a morflé en écrivant sur elle et aimerait peut-être passer à autre chose) et L. une femme qui va progressivement s'inviter dans sa vie et s'y imposer de manière presque exclusive, L. qui tente de la convaincre que les lecteurs s'en tamponnent désormais de la fiction dans les livres (la télé fait ça très bien) et qu'elle n'a pas intérêt à les décevoir maintenant qu'ils ont goûté à sa part de vrai. Les arguments qui s'opposent sont riches, nombreux, pertinents. Le lecteur qui a peut-être lu un genre plutôt que l'autre, se sent interpellé. Lui aussi, il est sur le ring... Mais les limites sont-elles si nettes ? Delphine de Vigan donne dans ce roman qui impressionne par sa maîtrise, une subtile leçon de brouillage des pistes, à tel point que c'est tout juste si, au terme de la lecture, on ne se demande pas qui est l'auteur....
Le personnage le plus abouti, le plus travaillé psychologiquement n'est pas, comme on aurait pu le croire l'auteur-personnage mais finalement cette mystérieuse L. (initiale choisie pour la prononciation en "elle" ?). L. avance sa stratégie de manipulation sournoisement, à moins qu'elle ne soit elle-même qu'un pantin de personnage, dont l'auteur dispose. 

vendredi 1 janvier 2016

Excellente année 2016

Encore toute timide des balbutiements de mon blog, je n'ai pas osé écrire un tel billet l'an dernier mais cette année, je me lance...

Je vous souhaite une excellente année 2016, pleine de santé, de bonheur et de l'accomplissement de tous vos vœux.

Je vous souhaite des rencontres littéraires étonnantes ou fabuleuses, des piles à lire qui débordent, des repérages de pépites, des découvertes d'auteurs, des retours de librairie les bras chargés, je vous souhaite d'avoir envie de parler des livres que vous avez lus pendant des heures (= "balabolker"), d'écrire peut-être ou de commenter à leur sujet , je vous souhaite une très belle année de lectures !