L'effet d'un oxymore (enfin presque), ce titre associé
à la photo de couverture. Quel rapport entre cette fillette costumée et "Gueule
d'amour"? La petite fille de la
photo est bien l'auteur du livre, Goliarda Sapienza. Elle revient dans ce roman
autobiographique, écrit dans les dernières années de sa vie, sur son enfance
singulière à Catane, en Sicile, dans les années 30. Elle grandit au sein d'une
famille d'intellectuels, socialistes pour les uns, anarchistes pour les autres,
davantage préoccupés de choses "importantes et vitales" telles que
"Le Bien du peuple", "le Progrès", "la Douleur du
monde" que des contingences domestiques. Entre une mère militante et
fascinante, un père avocat des pauvres, charismatique et séducteur, une tribu
de demi-frères et sœurs, Goliarda grandit assez libre, mais non sans principes
(gagner son argent de poche, ne pas s'en remettre à quelqu'un, notamment un
homme, pour résoudre ses ennuis...). Elle fréquente assez peu l'école, gangrénée
par la propagande fasciste mais se nourrit des lectures de la bibliothèque
familiale, tente de comprendre Diderot et Voltaire avec l'aide d'Ivanoé, le
demi-frère chargé de sa formation intellectuelle. Quel rapport, disais-je,
entre Goliarda enfant et le célèbre acteur au regard bleu acier ? C'est une
fascination en forme d'identification, à croire que la demoiselle, biberonnée à
l'idée d'insoumission, cherche à se démarquer de tous les modèles que sa
famille entend lui proposer. Elle qui évolue dans le quartier populaire de la
Civita où son père est tenu informé de ses moindres faits et gestes, a trouvé
dans cette identification à l'acteur, un espace de liberté et de rêve. Elle
analyse sa vie et ses émotions à l'aune de ce que Gabin aurait dit ou fait, elle transpose son moi sur
cet homme à la fois doux et viril. Il
l'accompagne et la rassure quand ses
proches semblent oublier qu'elle n'est qu'une enfant. Elle ne se contente pas
d'aller voir ses films au cinéma, elle les étudie pour mieux se l'approprier.
On l'aura compris, le matériau de ce livre est riche et
pourtant, j'ai eu le sentiment de passer un peu à côté (surtout dans la
première partie). L'écriture est belle, c'est indéniable mais par
moment, j'ai été quelque peu perdue dans le propos, notamment dans certains
passages où elle emploie "nous" pour parler d'elle et du Jean
imaginaire à ses côtés. La relecture que j'ai entreprise atténue cependant cet
effet.
L'identification entre la
fillette et l'acteur m'a semblé, de prime abord, un peu artificielle ( le livre débutant
en trombe sur cette idée) mais il faut reconnaître qu'elle est bien défendue,
nourrie, argumentée tout au long du roman et que j'ai fini par l'intégrer.
En somme, c'est un livre que j'ai appris à apprécier pleinement, en le relisant, en y repensant, ce qui est peut être préférable à un enthousiasme immédiat suivi de peu d'effets.
En somme, c'est un livre que j'ai appris à apprécier pleinement, en le relisant, en y repensant, ce qui est peut être préférable à un enthousiasme immédiat suivi de peu d'effets.
Ce n'est pas le premier commentaire élogieux que je lis à propos de cet auteur. J'ai l'impression que son univers est riche, très ancré dans la société, ce qui n'est pas pour me déplaire, et très intéressant. Une lecture exigeante, toutefois, qui doit nécessiter une certaine disponibilité d'esprit...
RépondreSupprimerTout à fait, c'est une lecture exigeante. D'ailleurs, au départ, je n'étais pas assez concentrée et c'est ce qui explique que j'ai dû relire certains passages.
SupprimerIl me semble qu'il y a eu un gros travail de plusieurs maisons d'édition française pour que son œuvre soit reconnue à sa juste valeur, ce qui n'était apparemment pas le cas, même en Italie.
C'est vrai que les livres de Goliarda Sapienza restent davantage en mémoire que d'autres pour lesquels l'enthousiasme est un peu éphémère. J'ai aussi aimé L'université de Rebibbia et je compte lire Les certitudes du doute, paru tout récemment.
RépondreSupprimerMoi aussi, je suis bien tentée d'en découvrir d'autres...
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