samedi 7 mai 2016

Monsieur l'écrivain de Joachim Zelter

Pour ma centième chronique, je voulais un livre qui parle des livres ou du processus d'écriture. J'ai donc choisi ce petit ouvrage au titre et à la couverture explicites qui se faisait un peu discret sur un rayonnage bas de ma librairie. Contrairement à mon habitude, je l'ai embarqué sans poser plus de questions car je voulais le découvrir sans aucune influence. Je ne connaissais pas du tout l'auteur.
Je me suis vue mal embarquée dès les premières pages caractérisées par un style répétitif et pesant. Puis j'ai compris (enfin, je pense...) que ceci était en fait voulu par l'auteur afin de servir sa démonstration. Je vais tenter d'expliquer. Un écrivain, reconnu, publié est abordé de manière numérique par un certain Sélim Hacopian qui lui précise, avec une phrase bancale écrite à la troisième personne du singulier, qu'il a écrit un livre. Il propose également de lui envoyer "quelque chose". L'auteur a l'intention de refuser poliment ce genre de sollicitation mais une pièce jointe accompagne le courriel. Il s'agit d'un curriculum vitae dont le côté rocambolesque intrigue le narrateur. Les deux hommes finissent par se rencontrer. Sélim a découvert l'amour des livres en travaillant au nettoyage des rayons à la bibliothèque. Il admire l'écrivain qu'il appelle "Monsieur l'Ecreuvain" car, on l'aura compris, Sélim, né en Ouzbékistan maîtrise encore mal la syntaxe de son pays d'accueil (en l’occurrence, l'Allemagne). Pourtant Sélim veut écrire et même être publié. Dès lors, il n'a de cesse de montrer à l'écrivain ses écrits et de lui demander son aide. A la fois touché par cette volonté naïve et harcelé par son solliciteur qui le retrouve dès qu'il fait un pas en ville (le livre emprunte ici aux codes de l'Absurde), l'écrivain accepte de corriger, amender, réécrire presque entièrement pendant des semaines voire des années (le temps se distend) les pages que produit inlassablement Sélim. Mais le résultat reste selon lui très médiocre. Pourtant, un jour, une maison d'édition de grand renom décide de publier une nouvelle, une histoire de chameaux, que l'écrivain avait jugée insignifiante. Incrédule, il se met alors en retrait mais l'appareil promotionnel de l'éditeur se montre particulièrement efficace et fait de Sélim une nouvelle plume, un nouveau talent, un incontournable.
Ce petit livre, sous-titré "Nouvelle sur la littérature", propose donc une réflexion sur ce qui fait le succès d'un livre où l'auteur, et plus particulièrement son curriculum vitae, prennent parfois toute la place ("Le curriculum est de plus en plus souvent le roman proprement dit, l'auteur est de plus en plus la véritable œuvre d'art. [..] Le factuel prime sur le fictif, le biographique sur l'inventé, la vie sur l'art." Sans être amer (pas d'ironie, par exemple, sur les prétentions de Sélim à écrire ce que j'ai apprécié), il dénonce cependant le caractère artificiel d'une respectabilité qui s'exprime dans la formule "Monsieur l'écrivain", dès lors qu'un éditeur peut décider, sur des critères présentés comme subjectifs, qui le deviendra.

vendredi 6 mai 2016

Meurtre chez Tante Léonie de Estelle Monbrun

On l'aura compris au titre et à la couverture, nous sommes du côté de chez Proust. D'ailleurs l'auteure qui écrit sous un nom de plume en est spécialiste. Ouvrons tout de suite une parenthèse, longue, je m'excuse d'avance, mais nécessaire, histoire de me décomplexer une bonne fois. Je n'ai rien lu de Proust. Voilà, c'est dit. Pourtant, je lis beaucoup ou du moins, disons que je suis dans la moyenne haute. Pourquoi alors ? Est-ce parce que je n'ai pas envie de me coltiner ces fameuses phrases longues ? Pas du tout. Est-ce que c'est parce que cela pourrait paraître désuet ? Au contraire. Bon, alors, quoi ? La vérité, c'est que j'ai la pétoche. Hé oui, j'ai peur de ne pas aimer mais quand je dis pas aimer, j'entends, "complètement", "inconditionnellement". Voilà, je veux le ranger au même titre que mon cher Balzac car je sens qu'il en a l'envergure et ils ne sont pas nombreux pour moi à ce niveau là. Du coup, je ne tente pas. C'est très bête ? Je vous l'accorde.
Je précise donc qu'il m'a certainement manqué des références proustiennes pour saisir toutes les allusions.
L'enquête se déroule en Eure-et-Loir à Illiers-Combray, commune dont l'extension du nom n'est pas due à la géographie mais à la littérature ce que je trouve charmant. Adeline Bertrand-Verdon a été retrouvée assassinée dans le bureau de la maison de Tante Léonie, la fameuse maison qui appartenait à la tante de Marcel Proust (qui s'appelait en fait Elisabeth) et dans laquelle il séjournait souvent enfant, lieu évidemment particulièrement prisé par les aficionados de l'écrivain.
Mandaté par sa soeur pour assister au colloque organisé par Madame Bertrand-Verdon, présidente de la Proust Assoiciation, le commissaire Jean-pierre Foucheroux se retrouve tout naturellement chargé de l'enquête. Entre une assistante un peu falote mais dissimulatrice, des universitaires méprisants et arrivistes (j'ai un peu pensé à Un tout petit monde de David Lodge), un vicomte suranné, le commissaire doit comprendre les ressorts personnels de chacun avec en filigrane l'espèce de frénésie incontrôlable qui entoure l'oeuvre de Proust (l'auteure s'en amuse d'ailleurs en faisant resurgir des cahiers que l'on croyait perdus).
Les amateurs du genre policier resteront peut-être un peu sur leur faim car l'intrigue n'est pas extrêmement complexe mais elle est cependant crédible et le livre est très bien écrit.Un bon moment de lecture, comme on dit, et qui aura eu le mérite de me faire approcher, certes par la périphérie, l’œuvre proustienne.

dimanche 1 mai 2016

Maman, je t'adore de William Saroyan

Oui, en effet, je l'adore.
Après Papa, tu es fou, j'avais très envie de retrouver ce ton incomparable de l'enfance que William Saroyan sait donner à ses romans. C'est chose faite avec Maman, je t'adore, une maman toujours nommée Mama Girl par sa petite fille de 9 ans, la narratrice, elle-même appelée de toutes sortes de façon tendre par sa mère sans que l'on apprenne jamais son prénom.
Nous sommes en 1956 aux Etats-Unis. Mama Girl et papa boy sont divorcés et depuis, Mama Girl est un peu paumée. 
Quoi que...elle sait quand même, à 33 ans, qu'il est temps pour elle de saisir sa chance à New York si elle veut percer dans une carrière de comédienne. Une baby-sitter qui n'arrive pas et voilà sa "grenouille" embarquée avec elle depuis la Californie jusqu'à la 5ème Avenue, adresse prestigieuse mais qui cache en fait une minuscule chambre de l'hôtel Pierre. La Grenouille croasse tellement bien que c'est finalement à elle qu'on propose un rôle dans une pièce inédite. Mama Girl est perplexe. Elle sent bien que sa petite fille pourrait accepter de jouer, rien que pour qu'elle obtienne aussi sa chance. Même si elle a l'air parfois d'une mère enfant, même si elle paraît préoccupée d'elle-même ou de sa carrière, elle n'est pas égoïste au point d'imposer ça à sa fille car toujours, l'amour maternel lui indique la bonne décision et c'est ce qui est particulièrement touchant dans ce livre. 
Le projet est retenu et Mama Girl obtient finalement un rôle important. Rien n'est facile, il faut améliorer le texte, tout créer et surtout convaincre les commanditaires d'apporter leur financement. 
Avec ce livre, on est aussi au cœur de la genèse d'une pièce de théâtre, l'enthousiasme, les heures de travail pour défendre au mieux son rôle, l'attente tendue de la critique.
Entre deux répétitions, mère et fille s'accordent quelques promenades dans New York et c'est avec beaucoup de sensibilité que William Saroyan a su rendre l'ambiance de certains lieux, Coney Island, par exemple.
Pour le lecteur qui aurait lu Papa, tu es fou,  je précise qu'il ne faut pas s'attendre tout à fait à la même épure et cette histoire-ci paraîtra peut-être un petit peu moins exclusivement poétique ce qui ne lui enlève pas sa valeur. Davantage de personnages secondaires interviennent et le projet autour de la pièce de théâtre densifie le roman. Pour autant, il reste la charmante fraîcheur des dialogues entre cette jeune maman et sa petite fille. Du haut de ses 9 ans, elle ne propose pas de réponses savantes. Willima Saroyan n'a pas cherché à faire d'elle une mini-adulte pour la rendre plus intéressante mais il a su rendre avec finesse cet amour inconditionnel qu'elle voue à sa mère.
Quant à la maman, on voit bien qu'elle fait du mieux qu'elle peut. Parfois, elle se trompe, doute trop et s'en veut de ne pas avoir été à la hauteur,  en se rappelant à quel point on ne pardonne pas grand chose à une femme divorcée avec enfant dans les années 50...