samedi 14 janvier 2017

Celle qui fuit et celle qui reste de Elena Ferrante

Maintenant que vous avez grandi, que vous êtes devenues des femmes et même des mères de famille, je me sens presque intimidée et je n'ose plus vous parler sur le même ton. Non, cette fois, je ne chercherai pas à vous gronder. Je suis impressionnée par votre courage pour trouver votre voie dans cette Italie mouvante du début des années soixante-dix.
Comment s'en sortir entre les actions révolutionnaires d'étudiants exaltés et d'ouvriers à la colère sourde, chacun s'arrogeant d'ailleurs une légitimité supérieure dans la lutte et la pression malsaine des petits-chefs de l'usine ? Lila brandit comme toujours son caractère inflexible mais elle le paie en étant ballotée sur les pires postes de l'entreprise. Quand, utilisant son intelligence prodigieuse, elle propose des solutions permettant d'atténuer les tensions, c'est pour découvrir que le véritable patron de l'usine est en fait son ennemi de toujours, brigand du quartier où elle a grandi.
Mais ce quartier de Naples qu'elle a pourtant fui, lui manque. Exilée dans sa ville de banlieue, elle s'étiole.
Vue de Naples depuis le Vésuve
Quant à Léna, installée bourgeoisement à Florence, son sort parait plus enviable et pourtant... Celle qui semblait avoir fait le mariage le plus prometteur découvre entre amertume et dépression le manque de considération sous le vernis de la culture et la modernité. Jeune mère un peu débordée, romancière en panne d'inspiration, Léna n'est en fait qu'une projection de ce qu'elle pense devoir être.
Mais, loin de se soutenir,  les deux femmes qui ont nourri depuis l'enfance une amitié si particulière, parfois bancale mais toujours inspirante, laissent les liens se distendre, à force de kilomètres et surtout de non-dits. Il n'est pas toujours facile, en effet, d'avouer ses renoncements.
Dans ce troisième volet,  Elena Ferrante nous propose deux portraits encore plus finement travaillés. Les deux jeunes femmes étant moins fusionnelles, le lecteur a davantage de place. J'ai apprécié aussi que le quartier soit légèrement mis à distance, qu'il reste comme un repère vers lequel on revient et non comme un magma gluant dont on ne peut s'extirper.
Certes, Lila y retourne mais forte des droits conquis, femme libre, pionnière de l'informatique, gagnant plus que bien des hommes.
Avec une écriture que j'ai trouvé encore plus maîtrisée, Elena Ferrante nous propose des parcours presque individuels, en tout cas, moins entremêlés où l'amitié est en questionnement, en fragilité, un peu comme si, construite dans l'enfance et indissociable des ambitions que l'on nourrit forcément à cet âge,  il fallait la renier quelque peu pour s'accepter en tant qu'adulte, non pas terne mais sans doute moins glorieux, en une sorte de compromis négocié avec soi-même. C'est peut-être ça, grandir.



Delphine-olympe est aussi enthousiaste que moi !