samedi 20 février 2016

Envoyée spéciale de Jean Echénoz

Lorsqu'on rédige une critique, il est important, me semble-t-il, d'être honnête sur sa posture de lecteur/lectrice et de ne pas oublier voire renier le critère qui a prévalu au choix du livre, si tant est que ce critère en soit bien un et ne relève pas de l'air du temps, l'humeur du jour ou du clin d’œil que vous aura adressé une couverture chatoyante ou un titre énigmatique, bref tout ce qui rend jubilatoire le fait d'entrer dans une librairie sans trop savoir ce que l'on vient y chercher. 
Je sais exactement pour quelle raison j'ai choisi ce livre. Pour l'auteur, son style, sa flamboyance, sa virtuosité. J'ai été hameçonnée par la lecture d'un seul des ses ouvrages, Caprice de la reine, un recueil de nouvelles. Loin de penser qu'il s'agisse d'un art mineur, je considère qu'écrire des textes courts requiert un talent peut-être plus grand encore que pour écrire de manière plus développée, le lien avec l'intrigue, l'empathie avec les personnages pouvant alors supporter quelques bémols, excusables sur la longueur (pas trop tout de même). 
Les Editions de Minuit savent qu'elles "tiennent" avec Echenoz, une valeur sûre en matière de style et ont d'ailleurs agrémenté le livre d'un bandeau bleu où apparaît le seul nom de l'auteur au cas où, sur la couverture assez sobre qui caractérise cette maison, celui-ci serait passé inaperçu (mais passons, ne soyons pas mesquine, le bandeau fait office de marque page, ni vexée d'être à ce point une cible "commerciale").
J'ai donc choisi ce livre pour la promesse du style de son auteur et le contrat de confiance (sans vouloir parler comme un SAV) a été parfaitement tenu. D'où me vient alors l'envie de poursuivre avec un "mais" ?
Est-ce à dire que la qualité de l'écriture sur plus de 300 pages n'est peut-être pas complètement suffisante ? La parodie (précisons qu'il s'agit d'une parodie de roman d'espionnage dont je ne dirai quasiment rien, le spoil ruinant ici tout particulièrement l'intérêt de l'intrigue)  la parodie donc, peut-elle tenir la distance une fois que l'auteur a livré au lecteur tous ses codes ? Force est de constater que j'ai commencé à m’ennuyer aux environs de la page 200. Revenons d'abord à ce qui ne m'a pas ennuyée, bien au contraire : un vocabulaire pertinent, des phrases qui, même lorsqu'elles sont descriptives, sont virevoltantes, des digressions fabuleuses, des personnages assez loufoques dont l'auteur ne dévoile que partiellement l'identité permettant ainsi au lecteur de déduire progressivement les rôles respectifs des protagonistes. Tout ceci est parfaitement maîtrisé.
Cependant, avançant dans la lecture, j'ai commencé à me lasser de jouer aux devinettes avec les personnages, nombreux, très nombreux. Le côté vraiment improbable de la dernière partie de l'intrigue m'a tenue à distance (oui, je sais, c'est une parodie) même si l'auteur anticipe ce côté un peu barré en adoptant dès le début un ton semi-ironique avec son histoire et ses personnages. Voilà pour le "mais". Maintenant, je vais placer un "cependant" pour contrebalancer le "mais". Autant prévenir, si vous vouliez une impression de lecture, entière, tranchée comme on dit, ce n'est pas trop ma marque de fabrique, je prends en effet souvent la liberté de mettre des nuances et des parenthèses.
Cependant, ce qui est particulièrement réussi dans ce livre, c'est que l'auteur joue avec notre complicité et nous invite dans les coulisses du livre. Il nous explique, par exemple, pourquoi il est judicieux qu'un personnage parlant coréen ait fait des études en Suisse ce qui lui permet aussi de maîtriser le français et donc à l'auteur de se passer des interprètes, "personnages secondaires encombrants dont nous ne saurions que faire ensuite". Il explique quel prolongement formidable il aurait pu donner à cette affaire d'espionnage si elle n'avait pas tourné au fiasco.
On l'aura compris, l'auteur s'amuse et, en nous dévoilant le making-of du livre, a la générosité de nous y associer pleinement. Cette parodie ne se limite pas qu'au contenu (le propos) mais joue aussi de son contenant, le processus d'écriture ou l'écrivain lui-même, principe de quasi auto-dérision qui fait du bien alors même que d'autres proposent sans complexe et jusqu'à l’écœurement du lecteur, l'auto-fiction.

mardi 16 février 2016

Sur une majeure partie de la France de Franck Courtès

Un titre à la consonance météorologique qui n'est pas sans rappeler des préoccupations paysannes. Il est vrai que ce nouveau roman de Franck Courtès s'ancre dans la ruralité. Adulte, l'auteur revient pour une journée champêtre en famille dans ce village de Seine et Marne qu'il a beaucoup fréquenté étant enfant car ses parents y possédaient une résidence secondaire. Il apprend assez fortuitement que l'un de ses anciens compagnons de jeux a fait plusieurs années de prison ce dont il s'étonne car le garçon était plutôt, dans son souvenir, du genre doux et sans histoires. Le roman se propose alors de comprendre ce qui a amené cette situation. Un brave gars ce Quentin, courageux, ayant appris à surmonter ses faiblesses, sensible, intelligent, tout du bon copain et qui de plus, partage avec Franck cet amour profond de la nature, de la forêt, sans chercher un ailleurs, plus urbain s'entend, qui lui conviendrait mieux. Rien à voir avec  Gary, teigneux et violent qui gravite lui-aussi dans cette campagne qui perd progressivement sa part de ruralité profonde. Au-delà d'une opposition classique de portraits dans laquelle s'invitent des personnages annexes comme le frère influençable, la petite amie insatisfaite et Tikiti, l'aide garde-chasse (mention spéciale pour ce personnage tout en poésie malgré ou grâce à son côté un peu frustre), Franck Courtès porte un regard tantôt nostalgique, tantôt accusateur sur la mutation de ces paysages gagnés par la périurbanisation et l'évolution des pratiques agricoles ayant cédé au productivisme. Est-ce un regard d'enfant qui a vu son terrain de jeux du week end dénaturé ? Est-ce la réflexion d'un citadin qui attend une lecture claire des paysages, soit la ville soit la campagne mais pas cet entre deux qui brouille des repères_à chaque espace, sa fonction_ rassurants car posés depuis l'enfance ? Il sait d'avance qu'on lui opposera, tel un puching-ball, l'un comme l'autre, que sa légitimité de Parisien à revendiquer une nature immuable se coincera quelque part, elle aussi, dans cet entre deux.
On peut certes avoir une autre lecture, un regard moins réprobateur sur l'évolution de ces paysages mais il me semble que le grand mérite de ce roman est de s'intéresser à la campagne pour elle-même, d'en faire un personnage principal et non pas seulement un cadre comme dans les romans de terroir ce qui reste assez rare pour être signalé.



lundi 1 février 2016

Veracruz de Olivier Rolin

Les villes portuaires trainent souvent avec elles une forme de langueur, un mélange de sensualité et d'imaginaire que leur position littorale favorise, en interface de tous les possibles. Sous ses latitudes tropicales, Veracruz, la mexicaine oscille entre charme et violence. Le roman d'Olivier Rolin fait briller ces deux facettes en proposant des récits enchâssés à l'intérieur d'un autre récit que je qualifierai de "porteur" à défaut de "principal" car le nombre des pages est quasiment équivalent. Des récits enchâssés comme des cigares cubains cachés dans des livres évidés, ruse de contrebande auxquels les protagonistes de l'histoire se livrent, de petites merveilles d'écriture qui dégagent une puissance sourde, une part d'animalité qui ne demande qu'à éclater.
Mais c'est d'abord sous le charme et l'amour que débute cette histoire racontée par un narrateur qui emprunte quelques traits à l'auteur. Invité à Veracruz pour un cycle de conférences proustiennes, il fait la connaissance de Dariana, une jeune chanteuse cubaine dont la grâce, la gaieté le séduisent aussitôt, lui offrant l'amour à un âge où "il ne va pas de soi". Une liaison intense magnifiée par la liberté, l'insouciance, la mer et le sel. Mais un jour, Dariana la mystérieuse ne vient pas au rendez-vous prévu dans un bar, laissant son amoureux désemparé. Dans l'attente, il s'alcoolise, n'osant quitter le lieu où elle devait le rejoindre. C'est alors que lui parviennent, de manière complètement anonyme, sous enveloppe, 4 récits bouleversants. Une même histoire ou plutôt un moment où tout peut basculer, raconté tour à tour par 4 personnages réunis dans la bibliothèque du palais délabré Médina-Schmidt, un soir de cyclone à Veracruz. Trois hommes et une femme, un huis-clos d'une intensité époustouflante. Je ne vais pas vous raconter cette histoire, je vais vous la décrire. Imaginez un arrêt sur image de la caméra, perché au plafond, oui, là, dans le lattis des palmes, en compagnie du serpent corail. Elle est la seule debout, elle fait face à ces trois hommes tandis que le vent furibond secoue le vieux château en ruine. Mais elle parlera en dernier. C'est d'abord celui qui est assis sur le tabouret, siège qui témoigne du rang qui lui est attribué, dont on entend la voix servile et libidineuse. Puis, du fauteuil provient la voix brutale et impérieuse du maître des lieux, un ruffian de première, celui-là. A moins que le plus dangereux ne soit celui qui joue aux dés, en retrait, guettant sa proie comme autrefois. Mais c'est à Susana de parler...
Olivier Rolin ne se contente pas de nous livrer 4 récits dont l'écriture est à couper le souffle, précédés d'une très jolie description du sentiment amoureux. Il interroge de manière subtile le rapport du fictif au réel, il répertorie les porosités, liste les causalités. Il essaie de trouver une logique, un sens caché et tente l'apaisement en redonnant sa place à l'un comme à l'autre.
Livre multiple par la forme et le fond, déclinaison vertigineuse des sentiments humains, interrogation sur le sens de l'écriture, un livre époustouflant.

Rhapsodie française de Antoine Laurain

Ni chapeau ni sac à mains égarés, cette fois-ci, c'est une musique qui sert de fil directeur au nouveau roman d'Antoine Laurain. Quoi que, pour être exacte, quelque chose s'est quand même égaré, une lettre, coincée pendant 33 ans sous une armoire de tri particulièrement possessive. Un courrier qu'Alain Massoulier aurait vraiment apprécié de recevoir quand il avait 20 ans et qu'il appartenait aux Hologrammes, un groupe de rock, fébrile à l'idée de tenir un tube avec son titre phare " we are made the same stuff dreams are made of" ("nous sommes faits de la même matière que les rêves"). Cette réponse positive d'une maison de disques à l'envoi de leur cassette (nous sommes alors au début des années 80 quand les supports de la musique avaient encore ce côté saisissable et concret, telles des espèces sonnantes et trébuchantes) aurait-elle pu infléchir le parcours des membres du groupe ? Planté dans une cinquantaine un peu molle, englué dans sa routine de médecin généraliste comme son père avant lui, Alain ressasse les rêves de sa jeunesse perdue et sa nostalgie un peu amère est telle qu'il doit la partager avec les autres. Le carnet d'adresses géant que constitue désormais un moteur de recherches très souvent sollicité lui permet de reprendre facilement contact avec l'ancien joueur de synthé ("claviériste", me dit le Larousse mais il me semble que l'usage de ce mot est peu répandu), ainsi qu'avec l'ex-batteur et l'ex-bassiste. La rencontre avec ces personnages permet à l'auteur d'aborder non sans mordant le monde de l'art contemporain comme celui de la politique. D'une création délirante en forme de structure gonflable géante représentant un cerveau humain (celui de son créateur), en passant par le discours haineux d'un facho assumé, cette rhapsodie française nous propose une mélodie un peu grinçante pour figurer la France d'aujourd'hui. Est-ce pour renforcer le côté "c'était mieux avant" ? L'effet est peut-être voulu mais cela manque d'un charme certain et j'étais restée sur celui, indéniable, de La femme au carnet rouge. Heureusement, l'intrigue entre l'ex-chanteuse, le producteur de l'époque et son assistante apportent un peu de romanesque rafraîchissant. Il est dommage que cette histoire semble un peu détachée du reste car Alain renonce en fait à prendre contact avec l'ancien producteur de leur groupe, un jeune homme brillant devenu un magnat de l'économie numérique et promis à toutes les ambitions politiques. J'aurais apprécié que le fil directeur choisi joue vraiment son rôle et donne davantage de cohérence à l'histoire. Il est vrai que mon sentiment de lecture est assez influencé par la comparaison que je ne peux m'empêcher de faire avec les précédents ouvrages d'Antoine Laurain mais l'utilisation du même ressort, un objet perdu amène aussi quelque peu à apprécier ce livre à l'aune des précédents. L'enthousiasme n'a pas été le même, je ne me suis pas vraiment sentie embarquée dans l'histoire mais cela peut tout à fait être le cas d'autres lecteurs qui l'apprécieront pour son écriture agréable, son tableau varié et légèrement caustique de la France contemporaine.