29 questions, le
sésame pour l'Eldorado, sauf à avoir été marqué par les officiers de santé, du "X"
fatidique qui fait de vous un refusé. De Annie Moore, jeune Irlandaise
accompagnée de ses deux petits frères à Arne Peterssen, marchand
norvégien, ils seront 12 millions entre
1892 et 1954 à subir ces contrôles
administratifs et médicaux, 12 millions
d'immigrants qui débarquent sur Ellis Island, à l'embouchure de l'Hudson, face à New York
et à l'Amérique, terre de tous les espoirs.
Poussés, le plus souvent, par la misère, harassés par des semaines de
traversée dans des conditions éprouvantes, les arrivants serrent leurs maigres
bagages et essaient de paraître présentables face à l'administration nombreuse
du centre qui applique une procédure sélective. La générosité du pays d'accueil
a ses limites : 2% des candidats, considérés comme indésirables seront
refoulés.
Ellis Island est
d'abord le creuset de toutes ces souffrances, de toutes ces vies déjà en exil
qui doivent se reconstruire. Difficile d'y voir autre chose qu'un lieu sordide,
où la maladie a d'ailleurs parfois sévi. C'est un peu de cette histoire que
nous donne à appréhender Gaëlle Josse (auteur que je découvre) à travers
"Le dernier gardien d'Ellis Island", court roman paru dans la
collection Notabilia (que je découvre aussi). J'avoue que j'ai un peu piaffé
d'impatience avant qu'elle en arrive au cœur du sujet, à travers les histoires
personnelles de Nella et Paolo Casarini, de Francesco Lazzarini, de Giòrgy
Kovàcs.
Non pas que celle
du gardien, John Mitchell et de sa jeune épouse, Liz ne soit pas touchante mais
ce n'est pas ça que j'avais envie de lire. Dés le début, j'attendais que
l'auteur dénonce l'ignominie de ce passage par Ellis Island et de cette
sélection d'influence eugéniste. Elle s'y emploie mais patiemment, avec une
écriture appliquée et pudique, en montant en puissance progressivement.
C'est donc l'histoire
poignante de Paolo, séparé de sa sœur Nella et refusé pour cause de retard
mental, sœur qui se sacrifie dans l'espoir qu'un regard bienveillant sera posé
sur le cas de son frère. Par ricochet, parce qu'ils étaient à bord du même
navire, John Mitchell découvre le parcours de Francesco Lazzarini, suspect
parce qu'anarchiste en Italie. Pour expurger sa faute, il lui accorde, contre
toute attente, le fameux sésame. Pourtant, politiquement aussi, il fallait
montrer patte blanche. Plus tard, il se remémore avec honte le zèle qu'il a mis
à traquer les "rouges", en suivant les recommandations des ambassades,
sans discernement. La "Porte d'or" ne voudra pas s'ouvrir pour Giòrgy
Kovàcs, l'écrivain, pas assez communiste pour la Hongrie mais trop pour les
Etats-Unis...
J'ai apprécié que
l'auteur revienne sur les portraits d'immigrants réalisés par Auguste Sherman
(un responsable administratif du centre) et en évoque, par la voix de John
Mitchell, toute l'incongruité. En quoi ces pauvres gens, dans ce moment de
fatigue et d'inquiétude, avaient-ils envie d'être photographiés ? Même si
Sherman n'a jamais clairement indiqué d'intentions autres que artistiques, on
sait bien comment ces portraits ont pu être exploités, en une sorte de zoo
humain qui personnellement me donne la nausée.
Et l'auteur arrive
là où elle voulait nous mener car c'est sur les mots "dignité",
"mémoire" et "justice" qu'elle referme la porte d'Ellis
Island.
Dignité et humanité : c'est en effet ce qui résume le mieux ce très beau livre qui nous parle de l'exil et de l'arrachement à son pays.
RépondreSupprimerAvez-vous lu d'autres ouvrages de cet auteur ? Je la découvre et j'aime bien son écriture.
RépondreSupprimerNon, c'était mon premier. Mais j'ai des "copinautes" qui avaient déjà apprécié de précédents titres...
Supprimerje viens de terminer ce roman, sous mon pommier ...J'en fais une lecture moins politique que toi, j'y découvre de fortes émotions exprimées par un homme on ne peut plus austère. Me laisse à penser que bcp de ces hommes à responsabilités à pouvoir cachent sans doute cette personnalité attachante et parfois trouble, comme tout humain en somme.
RépondreSupprimerJ'ai lu 2 autres romans de Gaelle Josse, j'ai bcp apprécié : nos vies desaccordées, un peu moins les heures silencieuses.
Merci d'être passée sur mon blog...
SupprimerJe ne l'avais pas vu sous cet angle là, le personnage principal, mais ton analyse me semble juste.
Gaëlle Josse fait partie des auteurs que j'ai découverts cette année et j'ai bien envie d'en lire d'autres d'elle !
Nous en sommes toujours là en 2021 avec les exilés qui échappent aux guerres au péril de leurs vies , confrontés à l indifférence generale des pays qui les abandonnent sur leur territoire...Mc
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