Attirée par le bandeau rouge et ses
lettres en capitales, j'ai emporté le livre sans me poser de questions et sans
regarder la 4ème de couverture (je la consulte rarement, il est vrai). Le nom
de l'auteur, efficace dans sa sobriété, a agi comme un aimant. S'il s'était agi
d'autre chose que d'un livre, j'aurais fulminé longuement sur ma méprise car en
l'ouvrant, j'ai réalisé qu'il ne s'agissait pas du dernier roman d'Annie Ernaux
mais d'un livre d'entretiens. Je n'ai cependant eu aucune raison d'être déçue. Bien au
contraire, j'ai vraiment apprécié les propos de cette femme intelligente qui analyse
son rapport à l'écriture et ne se défile pas, même lorsque celui-ci relève de l'intime.
Rien de clinquant chez Annie Ernaux mais un regard lucide sur son parcours
d'écrivain qui, bien qu'elle explore longuement dans ses livres la question
féminine, ne veut pas être considérée comme une femme qui écrit mais comme
quelqu'un qui écrit. Et ne lui parlez pas non plus d'autofiction, le sujet la
fâche et, pour être au plus juste, je préfère la citer : "Je n'ai jamais
eu envie que le livre soit une chose personnelle. Ce n'est pas parce que les
choses me sont arrivées à moi que je les écris, c'est parce qu'elles sont
arrivées, elles ne sont donc pas uniques. Dans "La Honte", "la
Place", "Passion simple", ce n'est pas la particularité d'une
expérience que j'ai voulu saisir mais sa généralité indicible".
Mais les questions posées par Michelle
Porte s'intéressent d'abord aux lieux, à commencer par la ville où habite Annie
Ernaux depuis 34 ans, Cergy Pontoise, qu'elle défend contre les préjugés qui
prétendent la qualifier. Cergy entre ville et campagne, "entre deux",
un peu comme une disposition idiosyncratique de cette femme, originaire d'un
milieu modeste et accédant par les études à un environnement plus bourgeois,
plus cultivé. Transfuge social (elle emploie l'expression) Annie Ernaux a mis
du temps pour gérer cette déchirure , pour accepter la séparation qui
accompagne l'accès au savoir intellectuel. Son premier livre, "Les
armoires vides" est empli de cette colère. "Violence exhibée"
encore pour les deux suivants "Ce qu'ils disent ou rien" et "La
femme gelée". Apaisement sans doute avec "La Place" où elle évoque son père en disant "il" et choisit, pour éviter les écueils du misérabilisme ou du populisme, une "écriture factuelle" expurgée de tout affect. Pour Annie Ernaux, le danger réside avant tout dans la forme choisie ("C'est la forme qui bouscule, qui fait voir les choses autrement"). D'ailleurs, elle reconnaît avoir peiné à trouver celle qui convenait pour "Les Années", une structure très impersonnelle, dont elle était convaincue de la justesse tout en étant persuadée d'avoir rendu le livre "illisible".
A la fin de l'entretien, Annie Ernaux confie à Michelle Porte, avoir surpris un jour, les propos d'un conseiller culturel affirmant qu'elle ne savait pas parler de ses livres. Il est clair que cette femme discrète n'est pas à l'aise avec l'exercice, écrire obéit pour elle à une nécessité et lui donne le sentiment d'un accomplissement. Pour le moins, elle sait parler de son écriture, son "vrai lieu". C'est sans nul doute tout aussi intéressant.
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