jeudi 1 janvier 2015

La Petite Bijou de Patrick Modiano

Lorsque Patrick Modiano a eu son Nobel, j'ai dû reconnaître mon incurie. Je le connaissais de nom, je pouvais citer sans doute un titre et même préciser que dans La femme au carnet rouge d'Antoine Laurain, il est question de lui mais à part ça, rien. Maigre constat, ignorance crasse. Bon, je ne suis peut être pas la seule. Mais c'est un de mes principes de lectrice (je réfléchis sérieusement à rédiger un billet sur ces fameux "principes"), j'accorde de l'importance aux prix littéraires, surtout le Nobel de littérature car il consacre une œuvre entière et non un livre en particulier. Mais voilà, quand je découvre un auteur et qu'il rentre dans mes "favoris", j'ai tout de suite une petite tendance à viser l'exhaustivité de sa production alors forcément, ça restreint le champ des découvertes. Bon, là, j'essaie lamentablement de me trouver des excuses pour ne pas avoir lu du Modiano AVANT son Nobel. Certes, ça m'est arrivé plusieurs fois de lire le Goncourt de l'année avant qu'il ne l'ait mais c'est quand même plus classe d'être une inconditionnelle du futur Nobel, par exemple comme Galéa, une bloggeuse talentueuse. Pour que j'aie l'air un peu intuitive, il faudrait donc que Auster, Paasilinna ou Somoza soient consacrés. A suivre...
 Me voilà donc embarquée dans un parcours Modiano et force est de constater, après la lecture de La Petite Bijou qui suit celle de Dimanches d'août, que "j'aime lire du Modiano". Je sais bien que je n'atteins pas un summum dans la pertinence de mon analyse en disant "j'aime lire du Modiano". Certes, mais premier constat tout de même. Qu'est-ce qui me plait dans les histoires de Modiano (bon d'accord, je n'en ai lu que deux) ? Elles sont d'apparence simple, pourraient se résumer facilement sur le plan de l'intrigue et pourtant, elles contiennent beaucoup (et là, je pense aussitôt au partage des parts qu'avait fait Prométhée dans le fameux mythe mais doutant fort de la pertinence de mon propos, je préfère ne pas développer). D'apparence peu mais tout en fait : il faut s'être coltiné l'inverse dans certains romans pour apprécier. Tout doucement, dans un style à la fois lent (que d'aucuns qualifieraient d'ennuyeux) et fluide, Modiano aborde des questions fondamentales mais sans appuyer, sans insister. Je crois qu'il fait confiance à l'intelligence du lecteur pour s'en emparer. Merci Monsieur Modiano.


Dans La Petite Bijou, une toute jeune femme, Thérèse Cardères croît reconnaître, dans le métro, sa mère dont on lui a annoncé qu'elle était décédée au Maroc douze ans plus tôt. Elle la suit et découvre que cette femme vit en banlieue, seule, et qu'elle n'est plus en mesure de payer son loyer. Mais qui était cette mère ? Est-elle Suzanne, selon son état civil ou la comtesse O'Dauyé ? Une danseuse aux chevilles brisées, une sorte d'ange déchu qui ne sait que faire de la petite fille qui vit à ses côtés et qui reporte par moment ses désirs de gloire sur celle qu'elle a surnommé "La Petite Bijou".  Livrée à elle-même dans un grand appartement parisien, soumise aux absences ou aux crises de sa mère, confiée, le jeudi (nous sommes en 1967) aux bons soins d'un oncle supposé, la Petite Bijou sent que son sort pourrait ressembler à celui du petit caniche noir, son seul compagnon, perdu ou plutôt abandonné au cours d'une promenade. Et, de fait, c'est ce que sa mère finira par faire, ne revenant jamais la chercher après un séjour de vacances à la pension de Fossombronne-la-forêt.

C'est toute cette enfance délaissée qui revient de manière obsédante à la mémoire de Thérèse, devenue adulte, d'autant plus que son travail de garde d'enfants, l'amène à côtoyer un couple énigmatique, presque évanescent, les Valadier, bien "encombrés" de leur petite fille. Une petite fille jamais nommée, comme une négation de son importance, de son existence. Une situation qui entre en résonance avec le passé de Thérèse et en amplifie la souffrance. 

Pourtant Thérèse trouve du réconfort auprès d'un certain Moreau-Badmaev, traducteur de langues rares ("le persan des prairies" !) et d'une pharmacienne parisienne (là, j'ai eu du mal à comprendre l'intérêt, le sens du personnage, si ce n'est par rapport aux médicaments...) mais rien n'y fait, Thérèse revient sans cesse à sa boîte à souvenirs, le passé n'est pas soldé. 

Elle finit par errer dans les rues de Paris, cherchant ses repères d'enfance, évanouis, insaisissables mais la nostalgie l'étreint, la nostalgie au sens étymologique, comme l'explique si bien Kundera dans L'ignorance, cette souffrance de l'impossible retour.
Errances et nostalgie, symptômes de l'impossible quête des origines et de soi, l'enfance comme du sable qui empêche tout ancrage, quelle belle part vous nous livrez là, Monsieur Modiano.
 

2 commentaires:

  1. Quel magnifique billet ma parole!! Nous parlons du même Modiano, je pense aussi qu'il parie sur l'intelligence et la faculté de déduction de son lecteur. Je pense que la petite Bijou parle de sa mère, je ne l'ai lu qu'en partie, parce que j'étais tombée sur l'édition folio à laquelle il manquait des pages (oui c'est possible).
    Je suis très très émue de votre billet.

    RépondreSupprimer
  2. Merci Galéa, je suis moi aussi très touchée par votre réponse, non seulement parce que je sais que Modiano est votre chouchou mais aussi parce que vous êtes la première à oser m'écrire sur ce blog...
    Je viens de me ruer sur sa biographie et en effet, le personnage de Suzanne a l'air d'avoir des points communs avec sa mère.
    Par quel autre livre de l'auteur me conseillez-vous de poursuivre ma découverte ?

    RépondreSupprimer