lundi 11 juillet 2016

Le mystère Henri Pick de David Foenkinos

Une rencontre intense avec un livre peut parfois rendre falote la lecture suivante. C'est donc sans grande conviction que j'ai entamé Le mystère Henri Pick pensant qu'il ferait les frais de la bouffée d'iode et d'émotions que j'avais prise avec Le grand marin. Sachant qu'une grande partie de l'histoire se déroule à Crozon en Bretagne, je n'ai pas été totalement dépaysée du côté des embruns. J'arrête là la comparaison qui n'a qu'un intérêt limité, il faut bien le reconnaître.
Le matériau de ce livre est particulièrement jubilatoire pour qui aime la lecture puisqu'il y est question bien entendu de livres, plébiscités ou ignorés, refusés puis recueillis mais aussi d'auteurs, d'éditeurs, de bibliothécaires en passant par les représentants du livre (dont le rôle méconnu est essentiel) mais aussi les critiques littéraires. David Foenkions semble bien connaître cet univers et nous adresse au passage quelques clins d’œil. J'ai relevé, par exemple, p 145, une allusion au livre Rien où poser sa tête de Françoise Frenkel, retrouvé bien des années après sa publication dans un vide-grenier. "Jérémie avait la fragilité de ceux qui ne trouvent pas leur place, et qui errent indéfiniment à la recherche d'un endroit où poser leur tête." L’ouvrage a été réédité par la même maison que celle de ce livre, voilà pourquoi j'ai pensé (peut-être à tort) à un clin d’œil. Le fait également que le personnage principal ait pour prénom Delphine peut-il être mis en rapport avec celle qui s'est récemment habilement amusée à triturer la part du vrai et de la fiction, en revenant sur les conséquences du succès considérable de l'un de ses livres ?
En partant de l'histoire mystérieuse d'un livre repêché par hasard dans la bibliothèque des livres refusés puis porté aux nues au point de devenir un phénomène médiatique, Foenkinos amène sur le ring le débat toujours intéressant entre la forme et le fond. Quels repères peut-on garder sur la valeur d'un texte quand parfois son contexte (quel qu'il soit, conditions d'écriture ou de parution, vie de l'auteur) devient plus important que son contenu ? Lorsque "le roman du roman" prend le pas sur son support initial, n'y a-t-il pas une sorte de supercherie collective que beaucoup, journalistes, lecteurs, alimentent ou cautionnent ? On sait très bien que des loupés magistraux (Proust refusé au départ par Gallimard ) ont émaillé l'histoire de la (non) parution littéraire mais a contrario notre époque n'est-elle pas avide de surenchère ? Bref, la part du talent et du mérite semble n'avoir parfois droit qu'à un chemin ténu alors qu' on ouvre des boulevards à  qui peut créer et nourrir le buzz. Pour autant, tous les livres refusés ne sont pas géniaux et tous les grands succès ne sont pas immérités non plus. 
Mais ce livre ne fait pas qu'analyser (sur un ton plutôt léger et en tout cas jamais ouvertement sarcastique) la part d'aléatoire dans la rencontre entre un auteur, un éditeur et son lectorat, il se propose aussi et ça m'a semblé être sa touche personnelle, d'aller voir du côté des vies ou plutôt des amours que le chemin du livre (là, je parle du livre dans le livre, il est temps de dire son nom, Les Dernières Heures d'une histoire d'amour) croise sur son passage et semble infléchir. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'image d'une balle de flipper qui vient frapper sur les différents plots pour prendre des directions imprévisibles. La plupart des personnages portent en eux des histoires d'amour déjà fatiguées, rattrapables ou pas et l'auteur, à travers 6 couples, décortique assez bien la part d'usure qui s'installe faisant écho au titre du livre qu’aurait écrit, dans l'anonymat, Henri Pick, pizzaïolo breton de son état mais avec un "k" dans le nom comme Foenkinos...
Une lecture absolument pas falote donc car ce livre explore différentes pistes, donne (ou rend) la part belle aux oubliés, refusés ou incompris (un hommage tout particulier à Brautigan, à l'origine de l'idée de la bibliothèque), aux gens du livre en général voire à l'objet lui-même digne d'être conservé, même s'il est médiocre car restant cependant le témoin d'une intention louable, celle d'écrire.

5 commentaires:

  1. Tu m'epates avec tes rapprochements sur rien où poser ta tête et sur De Vigan je n'y ai pas du tout pensé. J'ai moins aime ce livre que toi, sujet intéressant mais traitement trop léger avec trop d'importance donnée aux histoires d'amour.

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  2. Tu m'epates avec tes rapprochements sur rien où poser ta tête et sur De Vigan je n'y ai pas du tout pensé. J'ai moins aime ce livre que toi, sujet intéressant mais traitement trop léger avec trop d'importance donnée aux histoires d'amour.

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    1. Le livre de Françoise Frenkel m'a beaucoup marquée, c'est pour ça que j'y ai pensé.
      je pensais que j'allais m'ennuyer après Le grand marin mais je dois dire que non, je l'ai lu assez vite. Oui, c'est vrai que les histoires d'amour prennent de la place dans ce roman (et en général, je ne lis aucun roman d'amour !) mais elles sont surtout analysées sous l'angle de l'usure ou de l'incompréhension réciproque...
      Tu vois ce qui m'a parfois lassée dans ce livre mais je n'ai pas pensé à le dire dans le billet c'est quand l'auteur verse un peu dans les assertions pour chercher l'effet comique.

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  3. Ecoute, au départ j'étais très méfiante à l'égard de ce roman, de cet auteur, devrais-je peut-être dire (un fâcheux a priori, je te l'accorde). Mais tu es convaincante et Nicole, du blog Mots pour mots, m'en a également dit beaucoup de bien. Le sujet, bien évidemment, n'est pas pour me déplaire !

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    1. J'ai découvert Foenkinos avec Charlotte...
      En ce qui concerne ce roman, je pense en effet que le sujet devrait te plaire et je t'assure qu'il va entrer en résonance avec toi étant donné le prénom et le métier du personnage principal...

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