dimanche 10 juillet 2016

Le grand marin de Catherine Poulain

Lettre à un livre à qui j'ai envie de dire deux mots (variante neutre de "lettre à un livre à qui j'étais prête à mettre une claque et qui m'en a mis une").
Je savais qu'on parlait de toi. J'en ai perçu l'écume. Peut-être que je t'ai choisi pour ça en fait, pour faire partie de l'équipée.
Je n'ai pas voulu lire ce qu'on disait de toi et déjà ta jaquette m'en annonçait trop. Je voulais que mon rapport à ton encre soit brut et lisse, exclusif et  âpre comme les pages que tu promettais.
Je t'attendais un peu au tournant avec tes histoires de pêche au large et de bateaux. Sûr que t'avais du bon matériau littéraire, entre océan, coin de terre improbable et vies rudes mais faut tenir la distance, intéresser tout au long de tes pages, presque 400 et autant te dire que j'aime de moins en moins les livres gras.
Tu as choisi une héroïne qui ne prétend pas l'être, ton auteur en plus, et tu ne nous a livré que ce qui était nécessaire. Dès le début, tu vas à l'essentiel. Lili quitte (fuit ?) Manosque pour aller pêcher en Alaska. Tout à fait normal comme projet. Si on veut savoir pourquoi, tu fais comprendre que ça ne t'intéresse pas tellement. Même chose pour l'âge ou la description physique : tu la surnommes "moineau", ça fera l'affaire.
Tu n'es pas conciliant, on n'a pas envie que tu le sois de toute façon, ça ne t'irait pas trop. Ah, si, tout de même, tu as ajouté un lexique de la pêche pour nous aider un peu. J'aurais bien aimé que tu penses à une carte de l'Alaska ou de l'île de Kodiak mais bon, faut pas trop demander non plus (oui, j'ai regardé sur Internet mais c'est mieux quand tout est à bord, je trouve).
Ta campagne de pêche à la morue, tu l'as déroulée avec une âpreté et une force comme je n'en avais plus lu depuis longtemps. Tu es allé loin pour nous faire comprendre qu'il n'y a que comme ça, saoule de fatigue et d'efforts, dans l'urgence du travail à accomplir que Lili se sent vivre, dans la chaleur du bateau et de l'équipage.Tu l'as bien malmenée, ton moineau mais tu n'as pas spécialement fait tout une affaire de sa condition de femme. Certes, elle est la seule à bord et même si cela n'est pas très fréquent, ce n'est pas pour autant exceptionnel. Tu nous apprends que les muscles ne font pas tout, que l'endurance est sans doute plus importante. Certaines femmes sont même skippers et des marins aguerris se battent presque pour embarquer sur leurs bateaux sachant que la cale sera bien remplie au retour. Bref, on comprend que Lili en a bavé davantage comme novice (tout comme Simon, l'étudiant qui embarque pour la première fois), que comme femme. 
Quand même, elle est rude cette première campagne de pêche et moi aussi, j'étais un peu saoule de cette frénésie de travail, abrutie par les cadences que tu m'as imposées, à suivre tes remontées de palangre (maintenant, je sais ce que c'est) et à essayer de comprendre tous les termes techniques que tu as bien consciencieusement employés. Je n'en pouvais plus que tu ramènes le Rebel à quai. Heureusement, tu l'as fait à temps, peut-être que je t'aurais lâché, sinon. Tu ne me crois pas ? Tu as raison. 
J'étais sûre que tu allais nous traîner dans les bars et là, c'est peu dire que j'étais méfiante. Je ne sais pas comment tu t'y es pris, tu as réussi à rendre poétiques ceux qui les fréquentent assidûment sans tomber dans la caricature (je t'accorde une mention spéciale pour Murphy). 
J'ai adoré ta manière de rendre l'ambiance du port, ton répertoire d'odeurs, un peu comme ton répertoire de paumés. 
Quand on a embarqué pour l'ouverture de la pêche au flétan, j'avais progressé avec toi. C'était rude encore mais j'étais prête, j'avais l'impression de maîtriser. Tu m'as à nouveau remuée quand tu as décrit ce que les marins faisaient de ces géants argentés (j'ai failli sauter des lignes, je t'avoue).
Ah, oui, autre perturbation : ton titre. L'as-tu fait exprès ? Parce que pour moi, le grand marin, il n'était pas question que ce soit autre chose que l'élément, l'immensité (sur laquelle ton héroïne n'a jamais le mal de mer, d'ailleurs. Mais comment fait-elle ?) et voilà que se profile un grand marin, du genre humain, plutôt taiseux, alcoolique aussi mais avec tout ça, son côté Homme-Lion (c'est fou les surnoms que tu lui trouves), ses yeux jaunes, séducteur quand même et oui.
Là, j'ai eu l'impression de me faire avoir car le côté roman d'amour, je n'en voulais pas, ça m'ennuie. Pas besoin de mièvrerie dans toute cette eau salée. Bon, je dois dire que tu as globalement su gérer l'affaire, Comme tu as pu le remarquer, je t'aime bien voire beaucoup mais je suis assez directe avec toi et là, je pense que tu as un peu de gras tout de même. Quand tu l'as fait partir à Hawaï, j'étais soulagée, on allait pouvoir revenir à l'essentiel entre Lili et son besoin impérieux d'être "adoptée par un bateau"  (là, je te cite car c'est trop beau).
Maintenant que ni toi, ni moi, ni elle n'étions plus novices, il fallait repartir, non pas à Point Barrow, (j'ai bien cru que tu allais répondre à ses envies de bout du monde) mais juste se relancer pour se faire accepter du grand marin.

Pour lire le billet de Mior avec une très jolie phrase de conclusion, c'est ici.

3 commentaires:

  1. Tu résumes bien le mélange d intérêt et d agacement que peut susciter cette lecture...
    Merci pour le lien ;-)

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  2. J'avais lu déjà le billet de Mior, et quelques autres. Que d'éloges sur ce roman, et le tien est vraiment bien troussé ! Mais non, vraiment, je n'arrive pas à être attirée par ce livre. Cet univers ne me tente décidément pas. Tant pis pour moi, sans doute...

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    1. Merci ! Parfois certains livres inspirent davantage...
      Je comprends que tu n'arrives pas à te décider et puis, je suppose que tu as une PAL prometteuse !

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