samedi 16 janvier 2016

L'ombre de nos nuits de Gaëlle Josse

Nom de l'auteur, photo de couverture, titre, convergence de ces éléments : en quelques secondes, ce livre, posé comme un tableau sur son présentoir de librairie a abouti dans mes mains. Il s'est placé sans vergogne en haut de la pile à lire (que je gère certes très anarchiquement). Gaëlle Josse sait parler à ses lecteurs, notamment ceux qui ont aimé Les heures silencieuses. Cependant quand on risque un tel clin d’œil, il faut savoir tenir son accroche.
C'est plus que réussi. 
L'auteure reprend donc comme matériau de départ, une célèbre peinture. Même siècle, le XVIIème mais autre lieu. Cette fois, le tableau nous transporte  à Lunéville en Lorraine, terre "d'effroi et de désolation" ravagée par la peste et les guerres incessantes contre le royaume de France qui le convoite pour sa position frontalière. Ce contexte géopolitique contrecarre quelque peu les visées de Georges de La Tour, Maître de La Tour, déjà notable en sa Lorraine, notamment en raison de la dot de Diane, sa noble épouse mais qui ambitionne davantage, approcher rien de moins que le roi de France, Louis XIII avec un tableau dont la beauté et surtout la lumière si particulière sauront l'émouvoir. N'est-il pas le peintre dont on copie déjà la manière dans des ateliers de Nancy ? N'est-il pas celui qui se permet de défier l'arrogance des seigneurs, refusant les portraits qu'on le presse de réaliser ? C'est une scène religieuse qu'il présentera au roi, un Saint Sébastien soigné par Irène, dans une scène de nuit qui vaut désormais comme sa signature. N'en déplaise à Diane, c'est Claude, la fille aînée qui servira de modèle pour Irène. Sa Grâce, sa douceur siéront à merveille. Vers qui ses pensées se tourneront-elles lorsqu'elle posera des heures durant, dans une immobilité totale pour ne pas décevoir ce père admiré mais craint en raison d'un caractère souvent peu amène ? Tout à son art, le maître est loin de se douter que le cœur de sa fille aînée si sage bat pour un chevalier de passage, soldat cantonné dans sa demeure. Laurent, l'apprenti, a compris. Mais qui est-il, lui, petit orphelin dont la famille a été décimée par la peste pour parler, pour avouer à Claude ses sentiments ? C'est l'autre voix de ce roman, moins impétueuse que celle du maître, moins torturée par la maïeutique de la création. Il apprend avec application, se reconnait quelques compétences surtout lorsqu'il compare ses progrès à ceux d'Etienne, le fils du maître mais sait rester lucide. Jamais il n'égalera le maître, jamais il ne saura transcender la technique pour habiter les personnages de sa vision intérieure. Avec ces deux voix qui se répondent, on est au cœur de la genèse du tableau, ce ressort si particulier qui produit le chef d’œuvre.
Gaëlle Josse a su enrichir son texte en apportant une voix contemporaine, celle d'une jeune femme qui le regarde, le contemple même et y trouve un écho inattendu à sa propre histoire. Entrée pour cause d'averse dans ce musée de Rouen, elle est sidérée par la résonance. Irène qui soigne Saint Sébastien, c'est elle qui a tenté de guérir de ses blessures, B., un homme qu'elle a beaucoup aimé alors que lui s'est contenté de l'aimer bien, quand on sait ce que l'ajout de cet adverbe enlève de don de soi. Elle, s'est donnée totalement, s'est aliénée au risque de se perdre mais comme Irène, n'a approché que le corps.
Que ce soit le thème de la création artistique ou celui d'un amour qui consume, Gaëlle Josse maîtrise son sujet à merveille. Je découvre une autre facette de son écriture que j'avais trouvé jusque là, très poétique mais parfois un peu bridée. Elle a su trouver une voix singulière pour parler du sentiment amoureux et j'ai quelques difficultés pour en rendre compte de manière précise. Disons que ce n'est pas un lyrisme facile de surface. L'écriture reste dans une certaine forme de sobriété, de maîtrise.  Pourtant l'amour inconditionnel de cette femme est exprimé dans toute sa puissance.
L'écriture de Gaëlle Josse est comparable à la lumière des tableaux du maître. Elle ne se disperse pas en vaines lueurs mais son éclairage tout en délicatesse laisse apparaître une vérité des sentiments particulièrement fascinante.


Je l'inscris au non challenge des pépites 2015-2016 de Galéa.

4 commentaires:

  1. A peine sorti, ce roman cumule déjà les éloges...
    Je pense que je le lirai. Mais j'avoue que je crains de le trouver non pas froid, mais trop virtuose. Au travers des commentaires que je lis, l'impression que j'ai c'est que c'est un texte à la langue parfaitement maîtrisée, mais manquant peut-être d'une certaine fougue ou de liberté. Mais il n'y a qu'en le lisant que je le saurai !

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    1. Franchement, je te le conseille. Je t'assure qu'il ne manque pas d'un certain élan même avec une forme de maîtrise (j'ai du mal pour définir tout ça !).

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  2. Quel beau billet Balabolka !!!
    J'adore le XVIIe siècle, c'est mon domaine préféré (et j'ai dans ma valise de maternité les heures silencieuses dont j'attends énormément). Gaëlle Josse parle très bien de la création artistique, que ce soit la musique ou la peinture. Ce que tu dis des résonances passé/présent me rappelle Noces de Neige que j'avais moins aimé que Nos vies désaccordées, mais dont j'avais aimé l'écho. Quoiqu'il en soit je te fais confiance (nous avons souvent les mêmes exigences), il sera sur ma liste d'anniversaire.
    Belle journée.

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    1. Merci Galéa ! Bon choix de livre pour ta valise de maternité...
      Je n'ai pas lu les autres livres dont tu parles mais j'ai trouvé que celui-ci était plus abouti, plus "plein", plus risqué aussi par rapport à mes lectures précédentes de Gaëlle Josse.
      Hé oui, c'est vrai, c'est bientôt ton anniversaire...

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