dimanche 2 juin 2019

Miette de Pierre Bergounioux

Quand mon libraire emploie le superlatif, en général je ne me pose pas trop de questions et j'embarque le livre, je sais qu'il n'en abuse pas. 
Dès les premières lignes, je comprends que ma lecture ne sera ni légère ni détendue. Le format relativement court du livre tient d'emblée ses promesses de densité. Je suis déconcertée par le style, certes très beau, mais qui nécessite de placer ses repères entre deux replis de la phrase tels des fanaux. Peu à peu, je m'habitue, je comprends que je dois trouver mon rythme dans ses phrases travaillées, entrecoupées dont le vocabulaire est choisi avec soin. J'ai le sentiment d'entrer dans une forêt, les branches s'écartent peu à peu mais elle garde son mystère et son aspect intimidant. 
Si la métaphore forestière me vient à l'esprit, c'est parce qu'il est justement question de forêt dans ce livre. Baptiste, fils aîné de Miette (diminutif de Marie) sur qui pèse tout le poids du devoir, a entrepris d'enrésiner le sol granitique et ingrat de la propriété familiale, travail d'une vie qu'il accomplit seul avec toute la fureur dont il est capable lorsqu'il est mis au défi de perpétuer le cours immuable des choses. 
C'est ce cadre puissant et austère, ce plateau du Limousin, une lande tapissée d'ajoncs et de bruyères qui est le premier personnage de ce roman : un paysage qui impose sa loi d'airain à ceux qui en sont les héritiers même si cet héritage est inéquitable, loi successorale d'un autre temps marquée par la primogéniture masculine et le droit d'aînesse. Aux cadets, le droit d'aller voir ailleurs, pour un temps, mais le devoir de revenir à moins que ce ne soit de l'ordre de la conviction profonde qu'il n'y a pas d'autre chez-soi que cette terre hostile qui façonne les caractères.
Un roman où la psychologie des personnages (la mère, Miette, figure tutélaire, image d'abnégation, la fratrie, Lucie, Baptiste, Octavie et Adrien, aux liens élastiques) se construit à travers le regard du narrateur (l'auteur ? le gendre de Baptiste ?) qui habite désormais la maison désertée et ne pose la main sur les lourds outils que pour leur donner un tour artistique. Un roman où tout n'est pas dit mais, à bien y réfléchir, le contraire serait ennuyeux, un style quelque peu exigeant dont les ellipses narratives permettent de saisir l'essentiel, l'âpreté des vies, entre force et résignation, l'ancrage et la jubilation, sans doute fugace, de dompter un décor sauvage et de perpétuer des gestes qu'on pensait invincibles. 

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