dimanche 12 août 2018

Règne animal de Jean-Baptiste Del Amo

Si l'histoire d'une exploitation agricole qui se déploie sur presque un siècle et 4 générations peut vous intéresser, alors commencez à repérer ce livre. Mais attention, n'imaginez pas avoir à faire à un pittoresque roman de terroir. 
Si le rapport des hommes aux bêtes vous interpelle quelque peu, même sans être militant, simplement pour voir comment on peut l'aborder en littérature, alors approchez de ce livre. Mais je préfère mettre en garde, ce rapport est montré sous les formes de violence les plus crues, longuement décrites, avec minutie, avec obstination par l'auteur. Sa plume donne à voir et à sentir : sang, déjections, castrations, rien ne sera occulté ou le moins du monde édulcoré.  Alors si vous n'avez pas peur d'avoir le cœur au bord des lèvres, continuez d'approcher. D'une économie rurale où les bêtes ont toujours fait partie du quotidien de la ferme, l'exploitation se mue en porcherie au productivisme le plus acharné, entraînant dans sa quête frénétique, la folie des hommes. A moins que la folie n'ait toujours été là, du temps de l'aïeule déjà ?
Si vous avez surmonté la nausée qui peut naître à la lecture de certains passages, vous avez cependant fait la rencontre avec des personnages singuliers dont la psychologie est décrite avec finesse. Vous avez mesuré la force de caractère d’Éléonore, jaugé son amour pour Marcel, "gueule cassée" par la guerre, vous avez frémi de l’opiniâtreté d'Henri, le fils, obsédé par ce verrat énorme, ce champion qui s'échappe dans une fuite qui devient métaphorique et vous avez compris la différence et la poésie de Jérôme, l'arrière petit-fils, le fils de l'oncle...
Vous avez aussi fait la connaissance avec l'un des styles les plus travaillés, les plus puissants qu'il m'ait été donné de lire en littérature contemporaine. L'incipit où les personnages sont tour à tour présentés par un jeu d'ombres projetées sur les murs d'une modeste cuisine de ferme de la fin du XIXème, est un petit bijou, tout comme la description du vieux banc où le père s’assoit tous les soirs pour fumer sa pipe et méditer sur sa journée. Car c'est cela la plume de Jean-Baptiste Del Amo : il a les mots et ce talent inouï pour tout faire ressentir, tout évoquer, le sordide, l'abject, la folie des hommes mais aussi leurs poésies secrètes, leurs sentiments indicibles et leurs forces profondes. 

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