lundi 1 février 2016

Veracruz de Olivier Rolin

Les villes portuaires trainent souvent avec elles une forme de langueur, un mélange de sensualité et d'imaginaire que leur position littorale favorise, en interface de tous les possibles. Sous ses latitudes tropicales, Veracruz, la mexicaine oscille entre charme et violence. Le roman d'Olivier Rolin fait briller ces deux facettes en proposant des récits enchâssés à l'intérieur d'un autre récit que je qualifierai de "porteur" à défaut de "principal" car le nombre des pages est quasiment équivalent. Des récits enchâssés comme des cigares cubains cachés dans des livres évidés, ruse de contrebande auxquels les protagonistes de l'histoire se livrent, de petites merveilles d'écriture qui dégagent une puissance sourde, une part d'animalité qui ne demande qu'à éclater.
Mais c'est d'abord sous le charme et l'amour que débute cette histoire racontée par un narrateur qui emprunte quelques traits à l'auteur. Invité à Veracruz pour un cycle de conférences proustiennes, il fait la connaissance de Dariana, une jeune chanteuse cubaine dont la grâce, la gaieté le séduisent aussitôt, lui offrant l'amour à un âge où "il ne va pas de soi". Une liaison intense magnifiée par la liberté, l'insouciance, la mer et le sel. Mais un jour, Dariana la mystérieuse ne vient pas au rendez-vous prévu dans un bar, laissant son amoureux désemparé. Dans l'attente, il s'alcoolise, n'osant quitter le lieu où elle devait le rejoindre. C'est alors que lui parviennent, de manière complètement anonyme, sous enveloppe, 4 récits bouleversants. Une même histoire ou plutôt un moment où tout peut basculer, raconté tour à tour par 4 personnages réunis dans la bibliothèque du palais délabré Médina-Schmidt, un soir de cyclone à Veracruz. Trois hommes et une femme, un huis-clos d'une intensité époustouflante. Je ne vais pas vous raconter cette histoire, je vais vous la décrire. Imaginez un arrêt sur image de la caméra, perché au plafond, oui, là, dans le lattis des palmes, en compagnie du serpent corail. Elle est la seule debout, elle fait face à ces trois hommes tandis que le vent furibond secoue le vieux château en ruine. Mais elle parlera en dernier. C'est d'abord celui qui est assis sur le tabouret, siège qui témoigne du rang qui lui est attribué, dont on entend la voix servile et libidineuse. Puis, du fauteuil provient la voix brutale et impérieuse du maître des lieux, un ruffian de première, celui-là. A moins que le plus dangereux ne soit celui qui joue aux dés, en retrait, guettant sa proie comme autrefois. Mais c'est à Susana de parler...
Olivier Rolin ne se contente pas de nous livrer 4 récits dont l'écriture est à couper le souffle, précédés d'une très jolie description du sentiment amoureux. Il interroge de manière subtile le rapport du fictif au réel, il répertorie les porosités, liste les causalités. Il essaie de trouver une logique, un sens caché et tente l'apaisement en redonnant sa place à l'un comme à l'autre.
Livre multiple par la forme et le fond, déclinaison vertigineuse des sentiments humains, interrogation sur le sens de l'écriture, un livre époustouflant.

3 commentaires:

  1. Comme je suis heureuse que tu aies apprécié ce livre et, surtout, l'écriture de cet écrivain auquel je suis, tu le sais, très attachée.
    En plus, tu as de la chance, il te reste bien des titres de sa plume à découvrir !

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    1. Quel titre me conseilles-tu ? J'ai déjà lu le météorologue et il me semble que c'est comme ça que j'ai découvert ton blog ;-)

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    2. Ah mais je ne savais pas !
      Je ne répéterai jamais assez que L'invention du monde est pour moi un livre mythique. Mais j'ai aussi beaucoup aimé Tigre en papier, et ses récit de voyage, comme En Russie sont aussi à lire. (En fait, tout est à lire ;-) )

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