dimanche 17 mai 2020

Imaqa de Flemming Jensen

Entre ce livre et moi, on peut dire que l'entreprise s'est révélée laborieuse. Commencé puis abandonné, repris à la faveur d'une situation qui m'empêchait d'aller faire un tour à la librairie, la deuxième tentative s'est étirée en longueur. J'ai, en effet, eu bien des difficultés pour me familiariser avec la syntaxe que j'ai trouvée un peu bancale par moment, à vrai dire. Quelques longueurs à mon goût également dans le déroulé de l'histoire. Et pourtant, c'est un livre que je ne regrette pas d'avoir lu car les thématiques abordées sont très intéressantes.
J'avais déjà eu un aperçu de l'univers arctique grâce à la lecture de Une vie de racontars de Jorn Riel (auteur invité par ma librairie : un moment exceptionnel !).
Imaqa a donc retenu mon attention car je souhaitais prolonger ma découverte de la culture groenlandaise. Et puis, la couverture du livre est juste magnifique. J'ai beau dire que j'aime les couvertures sobres, celle-ci m'a attirée comme un aimant. Plantons le décor rapidement : Martin, instituteur danois, qui vit un moment de creux dans sa vie personnelle, demande sa mutation pour le Groenland et choisit volontairement un comptoir isolé , Nunaqarfik (oui, parce que même au Groenland, il y a des centres et des périphéries, pour reprendre un concept qui faisait florès du temps de mes années estudiantines). L'histoire se passe au début des années 70, cela a son importance pour comprendre la nature des relations dano-groenlandaises. Bien prévenu qu'il ne doit s'adresser à ses élèves qu'en danois, Martin se rend vite compte de l'ineptie de cette demande. Curieux de la culture des autres, doué pour les langues, l'instituteur a tôt fait d'apprendre quelques rudiments de Groenlandais et la connaissance progressive de la langue va lui permettre de mieux comprendre le mode de pensée des habitants de la petite bourgade.
Je ne suis pas linguiste mais ce rapport entre les deux m'intéresse beaucoup : est-ce que la langue façonne la manière de penser ou est-ce l'inverse ? Pour y réfléchir, un indice : la locution "parce que" n'existe pas en Groenlandais, nous révèle l'auteur. On lui préfère "Imaqa" : "peut-être"...
L'autre grand intérêt de ce livre réside dans son éclairage sur les risques d'acculturation des Groenlandais menacés par diverses formes de colonisation moderne : la consommation de nourritures non chassées ou non pêchées, l'introduction de produits jusque-là inconnus et qui se révèlent vite indispensables (le papier toilette...), l'exploitation de ressources minières par une société étrangère et bien sûr l'école où le Danois est de mise et où les manuels scolaires relaient le modèle culturel de l'Etat tutélaire. Est-ce que les choses ont évolué depuis l'autonomie renforcée accordée au Groenland en 2009 ? Je pense que je vais aller lire un peu de ce côté pour en apprendre davantage.
Pour en revenir à Imaqa, les amateurs de nature arctique y trouveront leur compte puisque le roman contient son lot de montagnes enneigées, de lacs gelés et bien sûr, de périples en traîneau.
Enfin, le roman est teinté d'une forme d'humour qui n'est pas sans me rappeler le ton que pouvait prendre parfois un autre auteur scandinave, Arto Paasilinna et si vous lui devez, comme moi, de bons moments de lecture, vous tirerez sans doute profit de la lecture de ce roman. Enfin, "imaqa"...

vendredi 17 avril 2020

Quand j'ai cru au désamour entre la lecture et moi...alors qu'il n'en était rien !

Alors que nous sommes tous dans le "grand confinement", la chronique qui s'affiche sur ce blog depuis des mois m'adresse un sacré pied de nez... "La grande escapade" ne peut-être que dans nos têtes en ce moment.
La lecture, et tant pis si c'est un truisme de le dire, est bien sûr propice à l'évasion. Pourtant, il arrive que ça ne matche pas. Il y a quelques mois, j'ai cru au désamour entre la lecture et moi. Impossible de tenir plus d'une cinquantaine de pages un roman, rien qui ne me donnait envie de veiller tard dans la nuit. J'ai commencé à sérieusement douter de recouvrer un jour le goût des livres car la pile des abandonnés enflait à vue d'oeil sur ma table de chevet. Je n'ai pas toujours eu un rapport fusionnel avec la lecture. Je l'ai même délaissée à certains moments de ma vie mais je n'étais pas du genre à entamer des livres pour les laisser en plan. Que se passait-il donc ? Il est vrai que j'avais fini par céder aux sirènes des séries disponibles moyennant un abonnement car vient un moment où le décalage se fait étrangement sentir dans les conversations à la cantine et qu'il faut faire quelque chose pour y remédier...
Cependant, à bien y réfléchir, la cause ne résidait pas dans cette (raisonnable) concurrence audiovisuelle. J'ai toujours su trouver du temps pour lire, souvent au détriment de mon sommeil... Je pense maintenant qu'il ne s'agissait pas d'un désamour mais d'un malentendu, sans doute lié à une forme de snobisme de ma part. Toutes les lectures ne doivent pas être exigeantes intellectuellement ou émotionnellement car on n'est pas toujours en mesure de les absorber ou de donner ce qu'elles requièrent : concentration voire analyse, force, détachement... Il faut parfois savoir réviser ses prétentions. Je n'emploierai pas le terme de lectures "faciles" mais simplement de lectures avec lesquelles on peut entrer en résonance. Pour ne pas avoir suffisamment cerné mon degré de résonance, j'ai laissé filer les semaines sans le plaisir de tourner les pages, d'accompagner des personnages dans leurs émotions et surtout de pouvoir en parler ensuite...
Et puis, la magie a opéré de nouveau. Non, il n'y avait pas de désamour, pas de panne de lecture juste un malentendu qui ne remettait finalement rien en cause profondément. Ouf...

Et quand même depuis octobre, j'ai lu les romans suivants... Livres prêtés, relus, offerts, piochés dans ma PAL...

_ Propriété privée de Julia Deck 

Quand un couple de bobos croient avoir tout bon en planifiant de bout en bout son projet immobilier et découvre une autre réalité... J'ai retrouvé la très efficace plume de Julia Deck découverte avec Viviane Elisabeth Fauville. Un roman encore une fois très maîtrisé.

_ Orléans de Yann Moix

Je suis incapable d'écrire sereinement sur un livre qui a fait l'objet d'une polémique. Cela crée une sorte d'épaisseur entre le livre et moi. Que puis-je en dire quand même ? Première découverte de la plume de cet auteur et j'ai plutôt apprécié. Cela ne me dérange pas que le vocabulaire soit recherché, la syntaxe travaillée. Chez certains romanciers, l'écriture est plus sobre, pour d'autres, plus sophistiquée. L'alternance des styles peut s'avérer très intéressante après tout. C'est un livre qu'on m'a prêté (merci Valérie !) et je ne peux pas le parcourir vu les circonstances mais je me rappelle avoir trouvé la toute première scène merveilleusement écrite. C'est une description sensible d'une école, d'une salle de classe, jusqu'à l'intérieur d'un pupitre avec les petits objets abandonnés par les générations précédentes, un vrai bijou...

_ Par les routes de Sylvain Prudhomme

Découverte de cet auteur également. Ecriture plus sobre et sujet moins pesant que le précédent. Un vrai plaisir de lecture, de cheminer au fil des pages avec cet auto-stoppeur qui ne voyage que pour rencontrer des gens, parce que l'humain le passionne. Un livre doux, plein de sagesse et de poésie. 

_ J'ai relu (merci Olivier !) Souvenirs dormants de Modiano. Cet auteur m'embarque où il veut avec sa plume...j'ai l'impression d'être sous hypnose et de suivre la grande silhouette... J'ai déjà écrit quelques billets sur des ouvrages de Modiano mais là, c'est mission impossible tellement ce roman est particulièrement modianesque. Oui, je sais, c'est une pirouette !


On m'a offert (merci Françoise !) : 

_ La femme révélée de Gaëlle Nohant.

 Je n'avais jamais lu de livre de cette auteure mais j'avais vu passer (sans trop les lire pour ne pas être influencée par la suite dans l'écriture d'un billet...) des critiques plutôt élogieuses. Comme je manque rarement une occasion, même en période de "malentendu de lectures" (je n'aime pas l'expression "panne") d'être bavarde à propos des livres, une collègue a repéré mon intérêt et me l'a offert ce qui m'a beaucoup touchée. Je consacrerai d'ailleurs à ce roman une chronique à part entière. Pour être plus rapide dans ce billet quelque peu récapitulatif, disons simplement que ce roman coche, selon moi, de nombreux centres d’intérêts : une écriture et une trame narrative maîtrisées, des univers bien campés : le Paris des années 50 et le Chicago de la fin des années 60. Se mêlent également deux échelles narratives, d'abord l'histoire intime d'une femme dont le choix de changer d'identité est source de dilemme, puis une histoire plus universelle, celle des luttes contre les ségrégations raciales aux Etats-Unis et contre la guerre du Vietnam. En filigrane, un Rolleiflex, dont l'argentique des photos sert de révélateur aux deux histoires.

_ Meurtre à Montaigne de Estelle Monbrun

Je ne suis pas une grande férue de romans policiers mais j'aime bien le savant mélange que concocte Estelle Monbrun entre intrigue, univers d'un homme ou d'une femme de lettres et rivalités universitaires autour de son oeuvre. La plume de l'auteure est efficace pour mettre en scène ces différents microcosmes tout en distillant une petite dose d'humour. On retrouve avec plaisir le duo d'enquêteurs, le commissaire Jean-Pierre Foucheroux, désormais plus ou moins en retraite et son ex-adjointe, Leila Djemani, devenue commissaire également. Si ma dernière lecture d'Estelle Monbrun (Meurtre chez Colette) m'avait peu convaincue, il n'en va pas de même pour Meurtre chez Montaigne que je trouve pleinement maîtrisé et correspondant à son intention.

J'ai pioché dans ma PAL :

_ Rouge brésil de Jean-Christophe Rufin. 

Quel roman ! Prix Goncourt 2001, je comprends pourquoi... C'est magistral, romanesque, érudit, intelligent, réflexif et très très bien écrit. Je ne connaissais pas grand chose à l'histoire de la colonisation du Brésil et j'ignorais, pour être honnête, cette tentative française pour s'y établir. Un roman qui avec ses presque 600 pages a une telle envergure que je ne peux ici que l'esquisser. J'avais adoré Le tour du monde du roi Zibeline qui se situe un peu dans la même veine, une grande fresque dont le matériau historique est habilement romancé et c'est mon libraire qui m'a conseillé Rouge brésil. Une pensée pour ma librairie, j'espère qu'elle va tenir et m'offrir à nouveau ses formidables rayonnages... Comptez sur moi !

J'ai ressorti de ma PAL depuis le confinement toute cette pile...

...mais 4 semaines d'enseignement à distance, de récupération de travaux sous des formes diverses et variées ainsi qu'une avalanche de mails m'ont seulement permis de lire :

Et encore Imaqa, je ne l'ai pas terminé ! Quand je dis qu'il faut parfois revoir ses prétentions...