lundi 23 juillet 2018

Bakhita de Véronique Olmi

Merci à ma "Topine" pour ce très beau cadeau...
La photo de couverture ne dit rien de son enfance dévastée et pourtant, elle le fut.
Capturée à 7 ans dans son village du Darfour, Bakhita va rejoindre les caravanes d'esclaves, silhouettes hébétées par les coups et les privations,  abandonnées dans le désert quand elles n'ont plus la force de se traîner. Mais la fillette tient bon, puise la force de survivre dans son amitié pour une petite captive comme elle et parvient jusqu'à El Obeid, où elles sont vendues pour servir de domestiques-esclaves aux deux filles du maître. 
Souvent choisie pour sa beauté, Bakhita qui signifie "la chanceuse" a t-elle un sort plus enviable que les autres esclaves non affectés au service de la maison ? Difficile à croire tant les humiliations, les coups peuvent pleuvoir également, la laissant des semaines durant incapable de se lever. Elle change de maître, va d'une cruauté à l'autre jusqu'à sa rencontre avec le consul italien de Khartoum. 
C'est en Italie que celle qui a oublié jusqu'à son véritable prénom choisira pour la première fois de dire "non", non à la soumission, à l'arbitraire. Un autre destin l'attend qui fera d'elle, à 24 ans, en 1893, une religieuse Canossienne, "sœur Guiseppina Bakhita", plus souvent appelée par les gens du peuple, la "Madre Moretta", canonisée par Jean-Paul II en 2000.
Un parcours qui a très tôt fasciné puisque, dès 1910, on lui demande de raconter encore et encore son "histoire merveilleuse" et en 1931, paraît la storia meravigliosa. C'est ce témoignage, ce matériau que Véronique Olmi (dont je découvre avec intérêt la plume) a travaillé, en plus de différentes recherches, pour aboutir à ce roman magnifique qui ne cache rien de la dureté de l'esclavage (les premières pages sont tellement insoutenables que j'ai failli renoncer). En lisant Bakhita, je ne me suis pas préoccupée de connaître la part d'authenticité dans l'histoire que nous propose l'auteur. Bien sûr, comme beaucoup de lecteurs je pense, j'ai cherché des photographies de Bakhita et je l'ai découverte avec sa coiffe si singulière de Canossienne. Mais la part de fiction, de romanesque ne m'a posé aucune difficulté car je l'ai trouvé parfaitement intégrée. En revanche et c'est pour cette raison que je lis assez peu de biographies, je me suis demandée si j'allais réussir à trouver ma place entre l'auteur et son personnage. En effet, le lien peut être si fort que l'on se sent en quelque sorte exclu mais il n'en est rien ici. Véronique Olmi arrive à retenir sa plume juste ce qu'il faut pour donner une respiration au lecteur. Son écriture est en harmonie avec le personnage car elle sait lui donner une forme de modestie, de pudeur et de respect sans pour autant que soient atténuées la détermination et la foi profonde de Bakhita. Son destin hors du commun n'avait pas besoin d'un excès de lyrisme et de pathos et c'est avec une très belle maîtrise de ton que Véronique Olmi nous propose de la découvrir. 

vendredi 20 juillet 2018

L'Archipel du Chien de Philippe Claudel

Moi qui apprécie en général les couvertures sobres, je trouve
que celle-ci est des plus réussies. On la doit à Lucille Clerc.
C'est une petite société bien symbolique qui est réunie ce jour là sur une plage de l'île de l'Archipel du chien. Le Maire, le docteur, le curé, deux ouvriers, la Vieille et l'instituteur encerclent trois corps échoués, trois jeunes hommes africains rejetés par la mer. Aucun papier pour leur donner une identité, une existence, alors, dans un pragmatisme froid, le Maire décide de ne rien dire, de les confier au gouffre du volcan. Il impose le silence à tous, arguant que les investisseurs pourraient renoncer au projet des thermes si important pour le devenir de l'île si l’affaire venait à se savoir et de toute façon, "ce-n'est-pas-comme-si-on-était-responsable-de-ce-qui-s'est-passé-n'est-ce-pas" ?
Mais peut-on en toute impunité se détourner à ce point de la misère humaine, celle qui pousse les hommes et femmes à fuir et à s'en remettre à l'arbitraire de passeurs avides ? 
Avec une écriture fluide rehaussée d'un vocabulaire toujours pertinent, Philippe Claudel propose de s'interroger à l'aune d'une micro-société sur de nombreux ressorts humains, individuels ou collectifs, entre lâcheté, résignation, manipulation, violence mais aussi, pour ne pas céder à toute cette noirceur, de ménager une petite voix ténue, discordante qui propose de rétablir vérité et dignité.

jeudi 19 juillet 2018

My absolute darling de Gabriel Tallent

Un titre un peu bling-bling à mon goût, une couverture colorée et un bandeau avec superlatif avaient d'abord agi sur moi comme un repoussoir malgré la discrète incitation de ma libraire. Cependant, un peu plus tard, alors que je flânais entre les rayons sans but précis, j'ai saisi les bribes d'une conversation entre mon libraire (un autre_même si libraire est un mot épicène, vous aurez saisi la différence du possessif) et une lectrice complètement conquise par ce livre. Leur propos était tellement dithyrambique que j'ai donc fait fi de mes préjugés sur la combinaison titre et couverture et j'ai embarqué ce premier roman de Gabriel Tallent, non sans avoir glané quelques précisions supplémentaires ("il a mis 8 ans pour l'écrire").
D'emblée, j'aurais aimé adhérer à la critique enthousiaste que j'avais entendue mais je dois dire que, dans un premier temps, la pauvreté du style dans les passages dialogués m'a gênée. Alors que j'étais en cours de lecture de ce roman, un autre passage à la librairie a donné à peu près ce genre de conversation :
- Moi : Comment dire ? Franchement, les "p..ain" et "co...asse", toutes les 2 lignes, c'est un peu lourd à force, je trouve. Il me semble qu'on avait déjà bien compris le côté grossier du père, même si bien entendu, il a une personnalité complexe... Par contre, quand l'auteur évoque la nature sauvage de ce coin de Californie que ce soit dans la partie forestière ou océanique, quelle richesse de style ! C'est à la fois précis, documenté et poétique.
- Mon libraire : mais ce contraste est voulu. C'est pour mieux qu'on saisisse la différence entre son environnement familial où elle est confinée avec ce père menaçant qui est pourtant sa seule référence et l'extérieur immense, ouvert sur tous les possibles.
- Moi (légèrement vexée en mon for intérieur de ne pas avoir déduit ça toute seule) : certes, mais ne trouvez-vous pas que ce livre ne peut être que "fort" étant donné la situation de la principale protagoniste, une adolescente abusée, maltraitée, sous l'emprise d'un père érudit, manipulateur et violent ?
- Mon libraire : oui, mais l'auteur réussit à en parler sans pathos. Et puis, il montre à quel point il est compliqué pour Julia de s'affranchir.
- Moi : oui, je suis d'accord, le dilemme est très bien rendu. On sent qu'elle chemine pourtant vers sa libération mais le père lui fait vivre un tel ascenseur émotionnel...
- Mon libraire : oui et tant qu'elle n'a pas d'autres références, et en ce sens, la rencontre avec les garçons est décisive, elle ne peut y arriver.
Après cette conversation, j'ai poursuivi ma lecture. La suite du roman avec moins de passages dialogués m'a moins gênée aux entournures côté style (même si j'avais bien intégré le côté voulu...). J'ai lu certaines phrases le cœur au bord des lèvres, pressée d'en finir avec les passages les plus pénibles mais avec une volonté de plus en plus irrépressible que l'héroïne s'en sorte, retrouve le droit de s'appeler Julia et non plus "Turtle" ou ce stupide "Croquette", surnom dont son père use et abuse... Finalement, ce qui m'a le plus étonnée en lisant ce livre, c'est l'incroyable transfert d’énergie qu'il opère. On se sent devenir forte et puissante en même temps qu'elle.
Et je m'aperçois que je ne suis pas loin d'utiliser le superlatif du bandeau que j'avais pourtant épinglé au début de ce billet...

mercredi 11 juillet 2018

Quand j'essaie de parler de mes lectures après plusieurs semaines...voire plusieurs mois /2

Et quand je suis encore plus en difficulté pour le faire car il s'agit de textes essentiellement poétiques...
Je me serais bien contentée d'une chronique en images...
Après tout, dans cette gamme de rose et gris, elles sont si joliment assorties.
Mais ces lectures méritent un petit effort...

Un monde en fragments de Pierre Barré est publié par une toute jeune maison d'édition basée à Metz, L'Atteinte. C'est un livre soigné, avec une indéniable recherche de mise en forme : une police d'écriture a été créée spécialement pour l'ouvrage. J'ai trouvé une vraie cohérence entre le texte et la ligne que s'est fixée la maison : "Notre intention est d'exposer une littérature à clef qui respecte l'intelligence du lecteur sans trop le flatter". En effet, c'est un livre qui demande un petit effort mais les indices sont quand même suffisants pour que l'on s'y retrouve, la juste dose d'explicite pour donner du sens à l'ensemble. 


Récemment, ma librairie a choisi de mettre à l'honneur la maison d'édition Le Tripode et d'organiser une rencontre (je n'ai pas pu y aller ce qui est bien dommage). Autant dire que nous disposions d'un large choix et j'ai opté pour deux ouvrages très poétiques.

Minuit en mon silence de Pierre Cendors est conçu sous la forme d'une longue lettre d'amour rédigée par un officier allemand en septembre 1914 à l'attention d'une jeune femme rencontrée à Paris avant la guerre. On saura peu de choses de cette rencontre car on comprend très vite que cela serait hors de propos dans ce livre à la tonalité à la fois lyrique et sombre. 
Un mot sur le nom de l'auteur, comme moi, vous avez peut-être noté la proximité sonore avec Cendrars et ceci d'autant plus que l'auteur suisse a été engagé volontaire pendant la Grande guerre, le payant d'ailleurs d'un lourd prix sur le plan physique. Si vous avez envie d'en apprendre davantage sur cette ressemblance des deux pseudonymes, quelques recherches sur Internet vous éclaireront mais l'auteur (je parle de Cendors) reste malgré tout entouré d'un halo de mystère et ses livres sont parfois décrits comme "indéfinissables" (ça ne m'étonne donc pas que je rame pour écrire ce billet).
La tonalité de ce livre est éminemment poétique, tendue vers cet amour idéalisé que le lieutenant Heller éprouve pour la belle Else, une inconnue ou presque. Leur conversation n'a duré que quelques heures. A un moment, cependant, la jeune femme s'est troublée, trahissant une émotion un peu plus forte. Heller emporte ce trouble avec lui comme un joyau et n'en demande pas davantage. Il n'espère rien d'autre, cette absence sublimée lui suffit. Ce chant d'amour est servi par une écriture magnifique et l'on comprend la référence à Rilke en quatrième de couverture.
Mais le livre comporte aussi une profonde intériorité. Heller ne pense pas que la guerre l'épargnera. Il se livre donc à une sorte d'introspection philosophique ou métaphysique tout en rendant hommage aux poètes. Les références au mythe orphique imprègnent l'ensemble du texte. Le personnage de l'Ordonnance du lieutenant, est particulièrement sublime, à la fois grave, pur, insaisissable et pourtant... Bien entendu, il le surnomme Orphée. D'autres références littéraires émaillent ce petit bijou poétique à l'érudition douce. Je vous invite fortement à les découvrir. 


Cette année quelque peu trépidante m'a donné envie de me tourner vers ce petit livre, Les pas d'Odette qui, avec sa couleur rose tendre, s'annonçait tout en douceur et en rondeur. Il est également publié par la maison Le Tripode.

Si je savais écrire, c'est ainsi, avec cette justesse de mots et cette infinie tendresse que j'aimerais parler de ma grand-mère. C'est en fait pour sa mère, Odette, devenue une dame très âgée, "mémé et arrière-mémé" que Patrick Da Silva a écrit ce magnifique texte. Pour retracer son parcours, l'auteur utilise, de manière très poétique, le procédé de la concaténation. Un mot en pousse un autre, un pas entraîne un pas, tant de pas depuis l'enfance, des pas d'écolière, puis rapidement des pas de labeur, des pas d’épouse, de mère et de grand-mère et désormais des pas menus. Tant de pas qu'il est impossible de les compter. L'écriture de l'auteur nous emporte dans une sorte de ritournelle nostalgique où chacun pourra repenser avec douceur aux souvenirs d'une mamie, mémé ou mémère (la manière de l'appeler ne se discute pas) et j'y ai bien sûr reconnu, avec beaucoup d'émotion, un peu de la mienne.