Enfant, je jouais très souvent
dans la cour de récréation de l’école. Elle jouxtait le jardin du logement de
fonction de mes parents, les instituteurs du village. Je n’avais qu’un pas à
faire pour profiter de ce vaste espace quand, la classe terminée, les élèves
rentraient chez eux. Cette cour ne comportait aucun équipement particulier,
aucun jeu (je parle d’une école rurale dans les années 70…) mais juste un énorme
tilleul dont il fallait « faire le tour en marchant sur ses racines sans
toucher le macadam ». Disposer ainsi de manière presque exclusive de l’espace
de l’école me donnait le sentiment d’un grand privilège. C’était d’ailleurs
bien le seul car, pour le reste, mes sœurs et moi, étions logées à la même
enseigne que les autres élèves. Il n’était pas question que l’on reproche à mes
parents le moindre favoritisme et nous le comprenions fort bien.
Cette longue introduction, assez
personnelle alors que je n’en ai pas l’habitude, pour expliquer à quel point ce
nouvel opus de Jean-Philippe Blondel a pu faire écho en moi. C’est la première
fois que je lis un roman contemporain dont le cadre se situe dans l’enceinte
même d’une école. Ici, il s’agit d’un grand groupe scolaire situé en ville avec
presque une dizaine d’institutrices et instituteurs, et autant de logements de
fonction, des appartements qui favorisent une forme de promiscuité. Différentes
familles d’enseignants (« les Goubert », « les Lorrain »…) y
vivent avec leurs enfants.
C’est avec plaisir que j’ai
retrouvé la petite musique de Jean-Philippe Blondel. J’ai toujours des difficultés
pour définir avec précision son style alors que d’emblée, je le ressens. Il me
semble que cela procède d’une sorte d’imprégnation douce et discrète au fil des
pages et non sur le relief singulier d’un mot ou d’une phrase. Par exemple,
dans ce roman, il va systématiquement appeler chacun des personnages par son
prénom et son nom ce qui apporte un regard tantôt tendre tantôt cocasse mais en
tout cas toujours « enrobant » voire nostalgique sur les situations vécues.
Les prénoms de la génération des enfants nous plongent au cœur des années 70.
Ces enfants jouent ensemble dans
et en dehors de l’école, formant une bande dans laquelle les rôles sont parfois
redistribués, surtout à l’aube de l’adolescence où les personnalités s’affirment
et se redessinent. Il m’a semblé reconnaître l’auteur à travers le personnage
de Philippe Goubert, le fils de la directrice de l’école maternelle. Maladroit
et mal compris, il va heureusement bénéficier de l’enseignement d’un instituteur
qui pratique avec bonheur une pédagogie façon Freinet. Philippe Goubert y gagne
une assurance nouvelle et le goût de l’écriture.
C’est une école en mutation que
donne à saisir Jean-Philippe Blondel. Devenue mixte depuis peu, dans la
mouvance de mai 1968, elle hésite encore entre, d’une part, un système ancien basé
sur une forme d’autoritarisme et une pédagogie descendante et, d’autre part,
des innovations inspirées de l’Education nouvelle rendant l’élève acteur de ses
apprentissages. Ce changement s’exprime
à travers l’antagonisme qui oppose Gérard Lorrain, le directeur de l’école
élémentaire et Charles Florimont, Freinetiste convaincu et passionné. Quelles que
soient les convictions des uns et des autres, et sans doute parce que je pratique
moi aussi ce métier avec des élèves un peu plus grands, j’ai ressenti une
profonde tendresse pour tous ces enseignants qui exerçaient dans une société en
pleine transformation. J’ai compris leurs doutes, leurs hésitations, j’ai souri
de leurs enthousiasmes.
Dans ce roman, les adultes
eux-mêmes semblent en questionnement, en bascule entre des tensions contradictoires.
On perçoit le poids de l’usure sur ces couples mariés sans doute assez tôt, on
comprend particulièrement la fatigue de ces institutrices-mères de famille-épouses
à une époque où le partage des tâches n’allait pas de soi. Ces adultes dans la
quarantaine, étouffent sans doute un peu, coincés dans leur école et leurs logements
de fonction, sous les regards obliques des uns et des autres. Quelles aspirations profondes sont-ils obligés de taire ?
Jean-Philippe Blondel a su montrer avec finesse ces transitions, ces transformations à venir,
celles des enfants qui entrent dans l’adolescence, celle de l’Ecole qui doit
faire sa mue à l’image de la société et celles des adultes au mi-temps de leur
vie. Entourant ces personnages d'une tonalité douce et singulière, l'auteur nous propose ici un roman très réussi que je recommande particulièrement.