Quelque peu étrangère à
l’engouement général actuel pour la cuisine, ne le considérant pas pour autant
avec dédain mais ne parvenant que rarement à dépasser l’idée de l’obligation
plutôt que d’envisager cette activité sous l’angle du plaisir, j’ai choisi ce
livre de manière un peu circonspecte à moins que ce ne soit par provocation.
J’ai goûté ce féminin du mot chef
et ce bandeau esthétique qui pour une fois, se contentait d’être muet. J’ai
tout de suite aimé la prose soignée de Marie Ndiaye et ses longues phrases
structurées (que j'ai maladroitement essayé d'imiter avec mon accroche).
Mais j'ai surtout été impressionnée par la manière à la fois rigoureuse et riche dont l'auteur dresse le portrait de ses personnages, des caractères façonnés, ciselés mais sans que l'effort paraisse. Quand vous pensez avoir suffisamment de matériau, quand vous pensez bien cerner votre personnage, vous constatez alors que d’autres mots, d’autres qualificatifs, tous pertinents
et jamais affétés vont venir à la
fois confirmer le portrait que vous avez esquissé mais aussi le préciser,
l’enrichir jusque dans les moindres détails. On attend en général que cette
attention particulière porte sur le personnage principal mais dans ce roman, le
même soin est accordé aux personnages secondaires comme les parents de la
cheffe (pauvres, joyeux, dignes, purs) ainsi que le narrateur, son assistant,
avec un portrait qui se dessine en creux tout au long du roman par des passages en italiques amenant une histoire dans l'histoire, non sans intrigue d'ailleurs. Que fait-il presque caché dans ce village de vacances "pour retraités moyens" à siroter pendant des heures des apéritifs sucrés en compagnie d'amis qui ne le connaissent pas et dont la compagnie n'engage à rien ? Qu'est-il venu fuir dans ce décor de carte postale ?
Les Clapeau, un couple de bourgeois, nourrissant un amour inconditionnel pour la bonne chère et quelque peu honteux de cette obsession inavouable sont présentés également de manière très subtile. On les voit d'abord comme de simples gloutons mais l'auteure réussit progressivement à les colorer d'humanité et de sensibilité. C'est chez ce couple, d'abord employée comme simple bonne ce qui lui permet d' observer à loisir le peu d'inspiration de la cuisinière que la cheffe comprendra à quelle point elle se sent forte, précise et créative en cuisinant.
La cheffe (toujours appelée ainsi par l'auteure même quand elle est enfant) est une personne plutôt austère limite taiseuse, qui fuit les compliments et vit son art dans un souci de perfection, presque comme une ascèse, ne cherchant jamais à flatter la gourmandise et détestant que l'on perçoive ses plats comme des occasions de délectation sensuelle. Son assistant, le narrateur, lui voue un amour inconditionnel. Il adore à la fois la cuisinière exceptionnellement douée mais aussi la femme au caractère droit et sincère, exigeante mais jamais mesquine. Partie de rien, la cheffe devient bientôt la patronne d'un restaurant renommé et récompensé, distinction qui loin de la réjouir lui fait honte, car si elle a plu, c'est qu'elle a cherché à plaire et donc démérité (hé oui, la cheffe est une puriste).
Mais cette cuisinière dévouée et admirable qui a circonscrit sa vie privée au strict minimum ne peut cependant rien refuser à sa fille, présentée par le narrateur comme un personnage perfide et ingrat. Pourra-t-elle alors s'en tenir à la même honnêteté qui inspire sa cuisine et lui donne tout son sens ?
Ce roman, structuré par un beau portrait de femme, éblouit par sa finesse, sa maîtrise narrative et la palette des qualités humaines qu'il magnifie avec sincérité.
Mais cette cuisinière dévouée et admirable qui a circonscrit sa vie privée au strict minimum ne peut cependant rien refuser à sa fille, présentée par le narrateur comme un personnage perfide et ingrat. Pourra-t-elle alors s'en tenir à la même honnêteté qui inspire sa cuisine et lui donne tout son sens ?
Ce roman, structuré par un beau portrait de femme, éblouit par sa finesse, sa maîtrise narrative et la palette des qualités humaines qu'il magnifie avec sincérité.
Tu es très convaincante ! Pourtant, comme toi, je ne suis absolument pas attirée. Comme toi, la cuisine - pourtant très présente dans mon activité professionnelle (je publie beaucoup de livres de cuisine) - n'est rien d'autre qu'une corvée (et ça ne va pas en s'arrangeant!). Du coup, j'ai tendance à fuir le sujet.
RépondreSupprimerFranchement, je te le conseille et je t'assure qu'aucune recette n'est imposée !
SupprimerC'est vraiment d'une grande finesse dans la psychologie des personnages.